Je finis par ressortir du Sunflower avec un masque et un tuba, prêt pour m'aventurer dans une aventure sous-marine parmi les coraux. Je n'ai jamais fait de plongée professionnelle en fonds marin, seulement dans des récifs de coraux. M'équipant du masque sur les yeux, puis du tuba entre mes lèvres, je plonge de la poupe du bateau directement dans la mer pour atterrir au-dessus d'un Carvanha à qui je fais si peur qu'il nage aussi vite qu'il peut pour me fuir, s'en allant vers le large. L'eau est bonne et la sentir envelopper la totalité de mon corps me donne l'impression d'être en apesanteur. En quelque sorte, je vole, je flotte dans un monde aquatique qui me permet une liberté optimale. Parfois, j'aimerais tellement avoir des branchies. Pouvoir respirer sous l'eau pour pouvoir visiter tous les océans après les avoir parcouru en surface.

Je me dirige sans aucune hésitation vers le récif de corail marquant la limite entre les eaux profondes de l'océan et les eaux claires reliées à la plage. Je vois des Corayon, des Ecayon, des Anchwatt, des Froussardine qui avancent en banc et s'éloignent de n'importe quel autre pokémon nageant à proximité. En se sentant menacé par un Carvanha, ils forment un groupe plus soudé prenant la forme d'un seul pokémon intimidant. Vénus et Neptune m'accompagnent, la première nageant à mon rythme en chantant quelques notes cristallines, dont les quelques sonorités me rappellent des mélopées qu'elle m'a déjà chanté. Quant à Neptune, il nage en roue libre, zigzaguant de droite à gauche, de haut en bas, allant droit devant pour mieux revenir derrière moi et recommencer son manège. Très énergique, il est presque instoppable. Vénus me fait signe de m'accrocher à elle et je le fais, allant immédiatement plus vite alors qu'elle me fait observer les récifs.

De temps en temps, mon Oratoria m'emmène vers la surface pour me permettre de reprendre ma respiration à travers le tuba. Elle sait faire attention à mon souffle quand nous nageons ensemble. Je sais que je suis en sécurité avec elle autant qu'avec les autres pokémons de mon équipe que j'utilise à l'arène Tempête de Skyler Bay. Je vois un Ecrapince en plein combat avec un Flingouste. Je décide de m'arrêter quelques instants pour les regarder faire, amusé et fasciné à la fois. Ils se lancent des cris pour s'intimider l'un et l'autre, utilisant leurs grosses pinces comme des lames qu'ils font s'entrechoquer avant de reculer par prudence. Aucun d'eux n'a assez confiance en lui pour enchaîner les coups. En toute logique, le Flingouste devrait alors l'avantage puisqu'il peut utiliser la pression dans sa pince pour envoyer des tirs aquatiques concentrés, même sous l'eau.

Il n'y a aucune victoire, les deux ennemis s'enfuient chacun de leur côté à reculons, gardant les yeux grands ouverts sur le pokémon crustacé d'en face jusqu'à disparaître dans des anémones de mer. Je vois un Vorastérie tenter de se cacher pour chasser les Corayon. Je sais que c'est la chaîne alimentaire, mais je tourne le regard immédiatement, refusant de voir la mort d'un pauvre Corayon qui passera par mégarde au-dessus du Vorastérie qui l'empoisonnera puis le mangera. Il deviendra sûrement un Corayon de Galar, un pokémon vide symbole de la mort. Neptune ne se fait pas prier pour aller visiter chaque anémone, n'hésitant pas à aller déranger les pokémons qui tentent de vivre leurs vies ou même de dormir un peu, certains étant nocturnes et non diurnes. Quand un pokémon se montre trop hostile, il se réfugie vite derrière moi et cela suffit à dissuader les pokémons sauvages.

J'entends des cris plus loin. Et je comprends qu'un Corayon est tombé dans le piège du Vorastérie. Avec le coeur lourd, je montre la surface à Vénus et elle comprend aussitôt que je veux m'en aller. Une fois à la surface, j'enlève le tuba et le masque pour les garder dans ma main droite.

- Ramène moi au bateau Vénus, s'il te plaît. Je ... Je ne veux pas voir ou entendre ces Corayon mourir.

Elle s'exécute en poussant un cri compatissant alors que Neptune, encore tout jeune, exprime sa déception de devoir arrêter l'exploration sous-marine. La mer et l'océan ont beau être magnifiques, elles cachent leur lot de dangerosités aussi. Je grimpe sur le Sunflower, fermant les yeux. Il faut que je me change les idées. J'ai encore le cri du Corayon en détresse qui résonne dans mon esprit. Et j'ai clairement envie de pleurer.

Vénus sort de l'eau et me rejoint sur le bateau, ayant perçu et compris mon mal être. Dans un geste doux et mesuré, elle m'enveloppe entre ses nageoires pour me faire un câlin. Je le lui rends avec tendresse. Et quand elle me lâche, elle commence à chanter. Un air doux et tendre, comme une mère qui chanterait une berceuse à son enfant qui vient de faire un cauchemar. Je m'allonge au soleil sur la coque chaude du voilier monocoque, me laissant lécher par les rayons du soleil. Mon Oratoria vient se placer près de moi pour continuer sa mélodie, plus doucement, comme pour que je sois le seul à l'entendre. Neptune, de son côté, continue de nager autour du bateau, sa déception s'est vite envolée, ça ne l'empêche pas de bondir au-dessus des vagues et de recommencer encore et encore en poussant des petits cris de joie.

- Merci Vénus ...

Je parviens à murmurer entre deux couplets. Elle se place de sorte à faire de l'ombre avec son corps. Maternelle, elle prend soin de moi depuis qu'elle a évolué en Otaria. Vénus est le premier pokémon de mon équipe. Je l'avais en partant de Skyler Bay quand j'avais sept ans. Elle a été là quand le champion nous a salement battu et humilié avec les autres pokémons. Elle aussi avait mal vécu la défaite, mais ce qu'elle avait le plus mal vécu, c'était l'amertume que j'avais, la honte ressentie qui me rendait presque malade après une telle humiliation. Côte à côte, nous avons continué de nous battre, nous avons acquis expérience et confiance en combat. Nous avons rajouté de puissants alliés à notre équipe de pokémon eau et nous voilà désormais champions. Nous avons transformé l'humiliation et l'amertume en quelque chose de plus positif. De la force et de la persévérance.

Je parviens presque à somnoler. C'est sans compter sur une vague plus haute que les autres qui vient frapper le Sunflower, pas assez pour le faire bouger, mais assez pour m'éclabousser et me faire sursauter. Je me redresse pour me calmer, m'étirant lentement. Est-ce que je rentre ? Est-ce que je reste ? Est-ce que je reprends ma planche pour tenter de surfer encore sur une vague ou deux ? Est-elle toujours là d'ailleurs cette planche ? Comment va cette femme à Lencliff que j'ai croisé il y a un moment ? Elle était belle. Je me demande si elle me reconnaîtrait si elle me voyait. Se souviendrait-elle de moi en tant que champion ? Ou se souviendrait-elle de moi comme l'inconnu qu'elle a croisé l'espace de quelques secondes et d'une œillade. Je me sens stupide rien qu'à l'idée de penser que j'aurais pu lui être inoubliable.

Je pensais pouvoir profiter d'une journée à surfer, nager. Et finalement la dureté de la vie m'a rattrapé. Le pire, c'est que je ne peux rien faire car si j'avais sauvé ce Corayon, j'aurais peut-être condamner le Vorastérie. Quand on sauve une espèce d'une autre, on choisit alors de punir la seconde et la priver de nourriture. Est-ce que j'aurais dû le sauver ? J'aurais dû ... Maintenant, des morceaux de coraux devraient flotter autour du corps sans vie du pokémon. D'autres Vorastérie ont dû le rejoindre pour participer au festin.

- Raaaah ! J'aurais dû intervenir, au moins pour le sauver lui ...

Je regrette mon inaction. Mais c'est l'histoire de ma vie d'avoir des regrets. De faire des choses que je n'ai pas osé faire. De ne pas avoir gardé une relation positive avec ma mère. De ne pas avoir discuté avec cette femme ...

Il faut que je change d'état d'esprit, sinon je vais passer ma soirée à broyer du noir et ressasser le passé. Repenser à chaque erreur que j'ai commises depuis le début de ma vie. À chaque opportunité manquée. À chaque moment de tristesse que j'ai pu ressentir en pensant à ma mère et sa nouvelle famille. Je m'arme de quatre autre pokéballs et j'appelle Mirage, mon Lanturn, Athos, mon Crustabri, Léviathan, mon Tarenbulle et Mistral mon Bekipan. La belle petite famille de gagnants. Voir leur enthousiasme général en voyant qu'ils sont appelés à la plage, ça me remonte le moral. Mistral s'envole et commence à se dégourdir les ailes. Léviathan glisse sur l'eau tout en restant autour du bateau. Athos plonge immédiatement vers les récifs de coraux et n'y bouge plus, observant les alentours. Quant à Lanturn, il suit gaiement Neptune dans sa course.

Le fait de m'entourer par ma nouvelle famille, celle qui ne m'a jamais abandonné, ni trahi, me rassure. Finalement, c'est sur eux que je peux compter. Sur eux que je peux mettre ma vie en jeu car je sais qu'ils en prendraient soin sans aucune hésitation. Et j'en ferai de même. Peut-être que je suis trop dur et que si j'avais mis de l'eau dans mon vin, j'aurais pu faire partie de la famille de ma mère. J'aurais eu un beau père avec qui on aurait fait des choses. Pêcher ? Aller en mer ? Comme avec mon père ... Et avec Nelly, on aurait été au cinéma, au centre commercial et on aurait fait des trucs de frère et soeur. Mais jamais je n'avais eu envie de faire tout ça avec eux. C'était plus facile de rester avec Vénus et mes autres pokémons que de faire face à la trahison et faire comme si elle n'avait jamais existé.

Je décide de m'allonger sur le ventre au bord du bateau. Parfois, Neptune vient taper dans ma main que je laisse frôler la surface de l'eau. Je me plais à imaginer ce que fait mon père. Est-ce qu'il est sur son bateau ? Oui, sûrement. C'est même sûr et certain. Est-ce qu'il pêche toujours ? Là encore, c'est sûrement le cas. Est-ce qu'il a refait sa vie lui aussi ? En me déposant à Skyler Bay quand j'avais dix-sept ans et qu'il a vu ma mère, son ex-épouse avec son nouveau mari et sa fille, est-ce que ça lui a donné envie de vivre la même chose ? De trouver quelqu'un d'autre ? Peut-être qu'il a déjà trouvé quelqu'un ... Et s'il s'était installé pour ne plus jamais voyager et qu'il avait aussi un gosse ...

Le simple fait d'imaginer tout ça me rend malade. Malade parce que ça voudrait dire que je serai tout seul. Je me retrouverai littéralement seul au monde et on m'oublierait aussi bien qu'on m'avait lâchement abandonné pour ouvrir une nouvelle page. Deux nouveaux romans dans la vie de mes parents où je n'aurais été que la page blanche qui ne sert jamais à rien au début de chaque ouvrage après le titre. Finalement, ce sera à moi de fonder ma propre famille. De trouver la personne - ou les personnes - qui seront là pour partager ma vie et me donner un peu foi en l'humanité.

- Foutue famille ...

Je murmure dans un soupir de dépit, comme si je réalisais que maintenant que je serai toujours seul tant que je ne trouverai pas quelqu'un avec qui m'ouvrir. Et avec les problèmes d'abandon, je suis sûr que ce sera pas une partie de plaisir.