Allez, il va craquer, non ? Mallory va vraiment le laisser dans le froid comme ça avec sa poche de glace ? Isma n'a même pas de veste, il a tout laissé chez ses parents quand il y a fait un saut avant de rejoindre la salle de concert ; ce ne sont vraiment que les émotions beaucoup trop brutales qui le poursuivent depuis le concert qui l'ont gardé au chaud tout ce temps. Finalement, être plus ou moins certain que son amant n'avait pas vraiment envie de l'autre mec, ça le calme quand même pas mal et puis se battre avec ce mec l'a aidé à redescendre, quand bien même la présence de Mallory et la menace de retourner faire un tour au poste l'auraient convaincu de limiter les dégâts. Il a dû être vachement déçu, le pauvre petit, et là où quelqu'un d'à peu près bienveillant aurait sans doute culpabilisé, le baroudeur lui, n'en retire qu'une satisfaction également responsable de sa redescente nerveuse. Il est beaucoup trop sûr de lui, c'est certain, mais lorsqu'après de longues - très, trop longues - minutes, il voit finalement le chanteur se lever pour lui ouvrir la vitre, il a la confirmation que, de fait, il a eu raison de croire qu'il finirait par avoir gain de cause. Cette certitude le fait peut-être sourire un peu trop franchement à la tronche de Mallory qui fulmine toujours ; avec un peu de chance, ça ne va pas durer trop longtemps. « Tu me casses les couilles, gronde le garçon en le laissant entrer. T'as cinq minutes.
– Merci, c'est sympa, répond-il sans ironie cette fois, parce que la chaleur de l'intérieur le soulage franchement. »
Il ne serait pas contre un café, ni une clope ou, mieux, un joint, parce qu'il a probablement fait tomber ses affaires à lui à un moment où l'autre de toute cette soirée hors du commun ; pourtant, il ne réclame rien et n'ose même pas s'asseoir sur l'un des canapés de cet appartement qu'il connaît par cœur et dans lequel il n'a absolument pas envie de se sentir étranger. Maintenant, il faut qu'il fasse les choses bien, et... il ne sait absolument pas comment. « Tu me veux quoi ? »
Du coup il va éviter de rester silencieux comme tout à l'heure, parce que cette fois ça risque de lui coûter bien cher, se dit-il en pinçant les lèvres avant de prendre une inspiration. « Y a certains trucs que je dois te dire, commence-t-il, le ton un petit peu incertain, comme méfiant ; il marche clairement sur des oeufs. Pour ce qui est d'Arella... si, je veux en parler, ne me regarde pas comme ça. »
Non parce que ce regard qu'il prend, là, il sous-entend un peu que Mallory est sur le point de lui arracher les yeux avec un coupe-ongle. Il sent sa gorge se serrer, son coeur accélérer ; ça va être beaucoup plus compliqué que ce qu'il imaginait. « On s'est connus à Alamos. Ce qu'il s'est passé là-bas est comparable à ce que j'ai connu à Myrtha. J'arrivais pas à encaisser, et on a voyagé ensemble après ça, alors on s'est aidés un peu comme on a pu. C'était y a cinq ans, Mallo... et j'ai jamais. J'ai jamais rien ressenti pour elle de comparable avec ce que je... »
Il soupire, passe une main sur son visage, nerveux ; en une poignée de secondes, il a tout perdu de sa superbe : dehors il n'avait rien à perdre, maintenant il a l'impression qu'un seul mot de travers pourrait tout lui coûter. « On a continué à voyager ensemble pendant trois ans sans qu'il ne se passe plus rien, c'est mon amie, c'est tout. Elle m'avait manqué, je suis désolé de pas t'avoir assez rassuré avant, j'aurais dû te raconter ça plus tôt. T'as rien à craindre d'elle. »
Mais il a pensé que Mallory s'en foutrait, en fait, tout simplement. « Et d'ailleurs t'as rien à craindre de qui que ce soit parce que... j'ai pas vu qui que ce soit d'autre que toi depuis qu'on s'est retrouvé aux Grottes Charbi ce jour-là, et j'vais te dire, j'en avais même pas envie. J'en ai pas envie, y a que... toi. Et j'veux pas qu'il y ait autre chose. Ni qui que ce soit d'autre. »
Est-ce que c'est clair, ce qu'il dit ? Est-ce que c'est compréhensible ? Parce que lui, il a un peu de mal à savoir comment il se débrouille, il démêle plus ou moins tout le bordel que c'est dans sa tête au fur et à mesure. « Après Oliver je... me suis connement promis que je serai plus jamais avec quelqu'un parce que c'était insupportable. Sauf que c'est pas le fait d'être en couple le problème c'est... d'être. De. D'être amoureux. »
Et peut-être qu'il le supplie totalement du regard, maintenant, parce que ça lui fait horriblement peur de prendre cette réalisation en pleine tronche maintenant, alors qu'il est sur le point de le perdre, alors que c'est peut-être trop tard. Il n'en sait rien, il n'a aucune idée de ce qui brille dans ses yeux et de ce que trahit l'expression défaite de son visage, tout ce qu'il sait c'est qu'il le regarde, et qu'il ne veut pas être mis dehors et s'entendre dire qu'il ne doit plus jamais le revoir. « Et j'avais pas compris que cette histoire de couple te ferait peut-être partir, j'avais... pas compris grand chose, j'en sais rien, j'ai pas réfléchi à tout ça j'voyais juste qu'on était bien tous les deux et que c'était génial, j'ai pas envie de te perdre, et d'ailleurs si tu veux tout savoir j'crois bien que si ça avait pas déjà été vrai à Nathalia j'serais pas revenu après mais... Mais ça doit être ça. Je suppose. »
Ça doit être ça, sinon il n'aurait pas pété les plombs comme ça tout à l'heure, sinon il n'aurait pas aussi peur de le voir disparaître. Sinon il ne sentirait pas des larmes de panique lui monter aux yeux quand il voit l'expression de Mallory se fermer, comme s'il attendait encore quelque chose alors qu'Ismaël est incapable de voir, de comprendre quoi. C'est sous le coup de l'empressement et de la panique qu'il prononce la suite, très vite, en s'approchant d'un pas, en essayant d'emprisonner ce regard sombre pour qu'il ne lui échappe pas : « Je... j'veux pas qu'on arrête de se voir, ou que t'aies quelqu'un d'autre ou que, j'en sais rien Mallo mais me demande pas de m'en aller et de jamais revenir, j'ai... je m'en fous du couple ou pas du couple peu importe, on fera comme tu voudras, on fera ce que tu voudras mais s'il te plaît, me quitte pas, articule-t-il, la voix cassée par son esprit qui lui balance des visions affreuses dans lesquelles Mallory s'énerve, lui hurle de s'en aller, le fout dehors et le hait de toutes ses forces. Laisse-moi... juste essayer, un peu de temps pour essayer de faire les choses correctement maintenant qu'j'ai compris que... j't'aime, je t'aime, j'veux pas te perdre. »

Là où Ismaël inspire, Mallory, lui, retient sa respiration. Que va-t-il encore entendre, que va-t-il encore devoir encaisser ? A-t-il seulement la moindre idée de son état maintenant, que c'était le coup de trop la dernière fois, qu'il avait besoin d'être rassuré mais qu'à aucun moment, son amant n'a été en mesure de le faire ? Il ne sait pas, et quelque part il espère que cela va être compris rapidement, parce qu'il n'a plus la patience de rien maintenant. Au moindre mot de travers, à la moindre phrase, il lui demandera de partir. Pourtant il reste encore là, suspendu aux mots de l'homme qu'il aime depuis ce qu'il considère comme toujours ; parce qu'il n'a jamais été capable d'aimer qui que ce soit d'autre, même s'il a essayé, parfois, de temps en temps. Rien n'a jamais été comparable à ce regard-là, peut-être un peu trop assuré alors qu'il est encore sur la pente glissante.  « Y a certains trucs que je dois te dire. Pour ce qui est d'Arella... » Aussitôt, le regard de Mallory se ferme, et le regard meurtrier qu'il lui jette lui promet tous les maux du monde s'il a le malheur de déraper. Cette soirée a été un cauchemar et rien que d'y repenser ça le rend malade, son estomac se tord, autant de frustration que de colère. Alors qu'il fasse attention, Isma, et il s'en rend bien compte d'ailleurs. « Si, je veux en parler, ne me regarde pas comme ça. » Il est chez lui, il le regarde bien comme il veut et que surtout il ne fasse pas comme s'il ne l'avait pas bien cherché ce regard-là, bordel.

« On s'est connus à Alamos. Ce qu'il s'est passé là-bas est comparable à ce que j'ai connu à Myrtha. J'arrivais pas à encaisser, et on a voyagé ensemble après ça, alors on s'est aidés un peu comme on a pu. C'était y a cinq ans, Mallo... et j'ai jamais. J'ai jamais rien ressenti pour elle de comparable avec ce que je... » Avec quoi ? Avec qui, avec Ollie encore, pour changer, ce crétin qui lui a brisé le coeur suffisamment fort pour qu'il décide de renoncer à tout ? Ils se sont aidés comment, hein ? Il a déjà la réponse, et ça l'écoeure. C'était il y a cinq ans, mais ça l'écoeure, rien que de repenser à la façon qu'il avait de la serrer contre lui, d'enrouler son bras autour de ses épaules, rien que d'imaginer ce qui a pu se passer avant entre eux en le laissant spectateur, impuissant, désespéré en comprenant que le jouet qu'il était n'aurait jamais droit à tous ces égards. « On a continué à voyager ensemble pendant trois ans sans qu'il ne se passe plus rien, c'est mon amie, c'est tout. Elle m'avait manqué, je suis désolé de pas t'avoir assez rassuré avant, j'aurais dû te raconter ça plus tôt. T'as rien à craindre d'elle. » Il aurait dû, s'il en avait eu quelque chose à foutre. Sauf que c'est exactement ce qu'il lui reproche, au final. De ne pas en avoir eu quoi que ce soit à faire, de la peur que ce comportement aurait pu engendrer.

« Et d'ailleurs t'as rien à craindre de qui que ce soit parce que... j'ai pas vu qui que ce soit d'autre que toi depuis qu'on s'est retrouvé aux Grottes Charbi ce jour-là, et j'vais te dire, j'en avais même pas envie. J'en ai pas envie, y a que... toi. Et j'veux pas qu'il y ait autre chose. Ni qui que ce soit d'autre. » Autre chose que ce qu'ils avaient déjà ? Mais ils n'avaient rien, hein ? Rien du tout. Bien sûr que non ! A-t-il la moindre idée d'à quel point ça l'a tué Mallory d'entendre ça et tout ce qui a suivi, du mal qu'il a fait pour la dernière fois ? Il s'est aplati devant lui, il s'est agenouillé pour le garder, il a accouru à l'autre bout du pays pour le rejoindre, tout ça pour quoi ? Bordel. C'est trop facile. « Après Oliver je... me suis connement promis que je serai plus jamais avec quelqu'un parce que c'était insupportable. Sauf que c'est pas le fait d'être en couple le problème c'est... d'être. De. D'être amoureux. »

D'accord, mais ça il l'avait bien compris, Mallory. Qu'il ne tomberait jamais amoureux de lui et peu importe ce qu'il aurait pourtant pu faire pour ça. Voilà pourquoi il est parti : parce que moins, ce n'était plus possible. Parce que lui il l'aime trop fort et que maintenant, il a besoin de sentir qu'il n'est pas le seul. Il s'est suffisamment humilié comme ça, dans toute cette histoire. Pourtant, les yeux d'Isma brillent de peur ; pourquoi ? Parce qu'il va lui dire qu'il ne l'aime pas mais qu'il n'a pas envie de le voir partir quand même ? Aura-t-il l'audace de lui jeter une phrase comme celle-là ? « Et j'avais pas compris que cette histoire de couple te ferait peut-être partir, j'avais... pas compris grand chose, j'en sais rien, j'ai pas réfléchi à tout ça j'voyais juste qu'on était bien tous les deux et que c'était génial, j'ai pas envie de te perdre, et d'ailleurs si tu veux tout savoir j'crois bien que si ça avait pas déjà été vrai à Nathalia j'serais pas revenu après mais... Mais ça doit être ça. Je suppose. » Ah il suppose. Super dans ce cas, ils vont aller loin avec des suppositions, hein ? Mais il n'a toujours rien dit, Ismaël. Les garanties, il ne les a toujours pas. C'est bien beau d'expliquer, mais si ça ne mène à rien ils auront juste perdu leur temps et lui, il n'aura plus qu'à se foutre en l'air quand il le dégagera de chez lui une dernière fois.

Mais comme si Isma avait entendu cette pensée, il avance, fait un pas, s'approche, emprisonne ses yeux sombres, prend son regard en otage comme pour l'implorer de ne pas réagir trop vite et trop fort cette fois. C'est long, et si la colère redescend lentement, c'est juste parce qu'il n'avait encore jamais entendu ce genre de confessions de la bouche de son amant, jamais. Tout le reste, oui. Mais eux ? C'était une succession de fuites en avant, d'esquives, de petits sourires, de baisers sur les tempes, une main dans les cheveux et un autre sujet pour couvrir celui-là en l'empêchant de l'implorer, lui, de lui donner une chance, une toute petite. Est-ce qu'il va finir par parler, maintenant ? « Je... j'veux pas qu'on arrête de se voir, ou que t'aies quelqu'un d'autre ou que, j'en sais rien Mallo mais me demande pas de m'en aller et de jamais revenir, j'ai... je m'en fous du couple ou pas du couple peu importe, on fera comme tu voudras, on fera ce que tu voudras mais s'il te plaît, me quitte pas... »

Et c'est la seconde claque, la seconde chute ; ses yeux s'écarquillent, parce que cette supplique là, il ne l'attendait pas. Il s'imaginait des choses, il ne sait même pas quoi, ses pensées s'embrouillent quand il comprend que si. Si, il a réussi, et il a fallu qu'il le perde Ismaël, pour se rendre compte qu'il avait réussi à récupérer un tout petit morceau de ce qu'Oliver n'avait pas détruit pour le faire grandir, revivre. Mais combien de fois a-t-il pensé ça ? Combien de fois sans réponse ? Est-ce que c'est vrai cette fois, que se passera-t-il demain ? Changera-t-il d'avis, prendra-t-il peur ? « Laisse-moi... juste essayer, un peu de temps pour essayer de faire les choses correctement maintenant qu'j'ai compris que... j't'aime, je t'aime, j'veux pas te perdre. »

Deux petits mots, c'est pas grand chose dans une phrase ou dans une vie, et pourtant il lui semble que la petite chose crépitante d'espoir dans sa poitrine s'enflamme violemment sur ces deux petits mots qu'il a toujours rêvé d'entendre de cette bouche adorée, et c'est bien plus fort que lui ou que tout quand Mallory sent ses yeux se remplir de larmes, que sa gorge se serre, que son souffle se coupe. Est-ce qu'il rêve ? Oui, il va sûrement se réveiller, hein ? Mais non, il est là Ismaël, avec ses yeux qui brillent de peur, plus sincères que jamais, et comme ça doit lui coûter de comprendre tout ça, maintenant. « Tu, articule-t-il sans savoir comment poursuivre, il ne sait pas, il s'était préparé à tout mais pas à ça, tu sais, tu sais depuis, depuis combien de temps j'attends que tu m'dises ça ? » Il balbutie, bégaie, il ne sait pas quoi répondre, pas quoi dire, déchiré entre l'envie de se jeter dans ses bras et celle de lui exiger tout ce qu'il n'a pas eu le droit de demander maintenant qu'il sait que c'est vrai, qu'il a le droit, qu'il peut, qu'il a réussi. « Pourquoi, pourquoi putain, pourquoi est-ce qu'il a fallu tout ce bordel pour que tu t'en rendes compte, pourquoi t'as pas été foutu, pourquoi tu, pourquoi tu t'en es pas rendu compte, hoquette-t-il maintenant que les larmes jaillissent sur ses joues, parce qu'il n'a plus la force de les contenir, de faire le fort, le colérique, il ne peut plus. Pourquoi tu m'as mis tout ça dans la gueule l'autre fois, pourquoi t'as pas vu qu'j'avais, que j'a, que j'avais juste peur, parce que moi aussi j'étais bien mais, mais comment, comment tu voulais que je, que... »

C'est dur et il pleure cette fois Mallory, il recule d'un pas, tremble, son corps semble plus fragile et maigre que jamais quand il lève le nez et qu'aussitôt elles sont là, ces grandes mains qui enferment les siennes, ce visage qui se penche vers lui et le dévore du regard. Pour la première fois, il sait que c'est vrai ce qu'il vient de dire. L'oiseau est entré dans la cage, c'est à lui de décider s'il la fermera ou non. « J'peux pas continuer comme ça, sanglote-t-il, à bout de nerfs, reculant quand Ismaël tente de l'approcher un peu plus sans lâcher ses doigts pour autant. J'peux pas, j'peux pas passer ma vie à m'demander si c'est enfin vrai tout ça ou si t'es pas, si t'es pas sur la même longueur d'ondes que moi, ça fait quinze ans que j'attends ça et j'pensais que ça arriverait jamais et, et tu, tu m'as fait espérer et puis tu m'as dégagé, mais t'es revenu et moi, moi, j'sais plus, je sais plus... » Il est perdu, maintenant ; perdu et dévasté, l'esprit en miettes quand il accepte enfin que deux bras s'enroulent autour de son corps pour le protéger et que ses sanglots résonnent dans l'appartement maintenant, vieux de quinze années de frustration et des semaines de doute. Il n'en peut plus. « J'ai, j'ai cru que je pourrais, pleure-t-il contre son épaule alors qu'une main se glisse dans ses cheveux, j'ai cru que j'pourrais être comme tu l'voulais mais je peux pas Isma, j'peux pas, je t'aime trop, j'peux pas continuer comme ça, j'peux pas avoir juste un peu, j'veux pas partager, c'est toi que j'veux, depuis, depuis toujours, putain... » Et s'il lui donnait la force qu'il lui fallait simplement en restant près de lui, aujourd'hui il ne peut plus s'en contenter. Il n'en peut plus, tout simplement.

L'ascenseur émotionnel dont est victime Ismaël depuis le début de cette soirée pourrait le rendre complètement dingue si la peur de voir cette conversation se terminer sur un désastre n'obsédait pas complètement ses pensées. Il ne se rend qu'à peine compte qu'en une poignée de secondes, il est passé d'une assurance insolente à un état de fébrilité palpable, qu'on pourrait expliquer en parlant de sa farouche volonté d'indépendance totalement foutue en l'air par la position de faiblesse dans laquelle il s'est mis en prononçant de tels aveux : il vient de mettre entre les mains de Mallory tout ce qu'il faut pour lui briser le cœur et le renvoyer dans une détresse dont il ne peut même pas envisager l'ampleur. Exactement ce à quoi il refusait de s'exposer depuis Oliver. Mais de ça il s'en fout, maintenant, l'état dans lequel il sera si celui qu'il aime l'envoie sur les roses il n'y pense même pas, ce qui compte c'est maintenant, tout de suite. Le doigt tendu vers la porte et les mots qui l'accompagneraient sont bien plus terrifiants à ses yeux que la perspective d'un chagrin d'amour à encaisser, quand bien même l'un impliquerait forcément l'autre.

Mais ce n'est pas ce qui se passe, et lorsque les grands yeux sombres de Mallory se mettent tout à coup à briller, c'est un sentiment bien étranger au petit coeur compliqué d'Ismaël qui l'envahit. La culpabilité. C'est comme un coup de poing dans le ventre de se rendre compte que ce qu'il dit là, ces quelques mots dont la véracité est bien plus certaine et bien plus ancienne que la maigre conscience qu'il en a, auraient pu tout, absolument tout changer s'il avait eu le bon sens de les comprendre et de les prononcer plus tôt. « Tu, essaie Mallory d'une voix cassée, tremblante, chargée de beaucoup trop de sentiments pour qu'Ismaël puisse tout à fait comprendre ce qui semble ainsi lui broyer la gorge, tu sais, tu sais depuis, depuis combien de temps j'attends que tu m'dises ça ? »
Il le sait, oui. Il le sait depuis des mois maintenant et pourtant il n'a pas été foutu de se rendre compte de tout ce qu'il provoquait en refusant de céder à ce qu'il voyait comme un risque, une faiblesse, un engagement qu'il finirait forcément par regretter. Et malgré tout le talent dont il dispose quand il est question de démentir ses erreurs, celle-là, il est en train d'en payer bien trop durement les conséquences pour pouvoir l'ignorer. « Pourquoi, pourquoi putain, pourquoi est-ce qu'il a fallu tout ce bordel pour que tu t'en rendes compte, pourquoi t'as pas été foutu, pourquoi tu, pourquoi tu t'en es pas rendu compte ? Pourquoi tu m'as mis tout ça dans la gueule l'autre fois, pourquoi t'as pas vu qu'j'avais, que j'a, que j'avais juste peur, parce que moi aussi j'étais bien mais, mais comment, comment tu voulais que je, que... »
Parce qu'il est con, parce qu'il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez, parce qu'il n'a pas réfléchi, qu'il n'a pas essayé, pour tout un tas de raisons stupides qui lui semblent non seulement ridicules mais surtout complètement vaines maintenant qu'il en est là, qu'ils en sont là. Alors il ne répond rien, avance, des larmes plein les yeux et le coeur au bord des lèvres, faisant disparaître les mains blanches et tremblantes de Mallory au creux des siennes. Il aimerait dire quelque chose, dire les bonnes choses, mais il ne sait absolument pas quoi et le garçon à bout de forces n'en a pas encore terminé. « J'peux pas continuer comme ça, ajoute-t-il et Isma veut répondre je sais en s'approchant encore pour l'enlacer, mais le pas de recul du chanteur serre trop violemment sa gorge pour qu'il puisse dire quoi que ce soit. J'peux pas, j'peux pas passer ma vie à m'demander si c'est enfin vrai tout ça ou si t'es pas, si t'es pas sur la même longueur d'ondes que moi, ça fait quinze ans que j'attends ça et j'pensais que ça arriverait jamais et, et tu, tu m'as fait espérer et puis tu m'as dégagé, mais t'es revenu et moi, moi, j'sais plus, je sais plus... »
Ce n'est pas vraiment étonnant, songe piteusement Ismaël en comprenant enfin pourquoi Mallory parlait de jeu la dernière fois ; ça y ressemble bien, de son point de vue, et pourtant... il ne pensait pas comme ça, il ne réfléchissait pas comme ça. Il ne réfléchissait visiblement pas du tout, songe-t-il finalement en échappant un soupir malheureux et infiniment désolé, saisissant entre ses bras le corps chétif du garçon qui accepte enfin de se laisser étreindre. De lourds soubresauts agitent les épaules de Mallory et lui-même tremble de tous ses membres ; s'il ne sent que quelques larmes rouler le long de ses joues, il n'en mène pas large, maintenant qu'il comprend, vraiment, les conséquences que tous ses actes et toutes ses décisions inconsidérées ont eues sans qu'il ne sache s'en rendre compte. Les sanglots qui s'écrasent contre son torse en sont les témoins les plus parlants, et c'est un autre sentiment auquel il n'est pas coutumier qui s'invite alors qu'il passe une main fébrile dans les cheveux désordonnés de son amant. La honte. « J'ai, j'ai cru que je pourrais, j'ai cru que j'pourrais être comme tu l'voulais mais je peux pas Isma, j'peux pas, je t'aime trop, j'peux pas continuer comme ça, j'peux pas avoir juste un peu, j'veux pas partager, c'est toi que j'veux, depuis, depuis toujours, putain...
– Je suis désolé, articule-t-il péniblement en affermissant peut-être un peu trop son étreinte autour du garçon qu'il serre contre lui comme s'il avait peur de le voir s'évaporer. J'suis... j'suis désolé Mallo. »
C'est faible, c'est trop peu, mais à ce stade Ismaël ne sait simplement pas quoi dire ; il en a fait et dit tellement, des conneries, qu'il a peur d'en rajouter, d'en faire d'autres, de montrer à Mallory une conclusion qui pourrait venir très naturellement au vu de tout ce que le chanteur vient de mettre en lumière : c'est lui, Isma, l'abruti dans cette histoire. Et l'idée que le champion ait toujours pu se considérer comme celui qui ne méritait pas l'autre lui paraît totalement écœurante, à présent. « J'te promets que ce sera différent maintenant, dit-il en fermant les yeux, posant doucement son visage contre les cheveux de Mallory. Si tu... si tu veux bien qu'je reste, si tu veux bien essayer une dernière fois, j'ferai plus... tout ça, je ferai attention, n'importe quoi, j'te promets que... j'te promets ce que tu veux. Je suis désolé... »
C'est brouillon, incohérent, ça a même l'air totalement insensé ce qu'il raconte et sans doute que ça l'est mais il ne sait pas, il ne sait plus grand chose, sinon qu'il ne veut pas le perdre, ce garçon déjà beaucoup trop fragile qu'il a encore plus abîmé là où son devoir aurait été de le protéger, de le soutenir et de l'aimer. Et s'il en a l'occasion, si Mallory accepte de prendre ce risque encore une fois, alors il le jure ; cette fois, il le protégera, le soutiendra et l'aimera de la bonne façon.

Il aura fallu quinze ans. Quinze ans et des litres de larmes pour en arriver là, quinze ans et des espoirs brisés, des chutes, des heurts, de longues nuits de souffrance et d'autres, chargées de bonheurs brillants que Mallory osait à peine toucher à chaque pas en avant fait, quinze ans et des rêves peuplés de ce visage qu'il imagine décomposé au-dessus de lui, quinze ans et son coeur qui jouait à la roulette russe à chaque phrase qu'il rêvait de prononcer dans les méandres oniriques de ses envies, de ses besoins. Ce soir, enfin, et après toutes ces années à vivre dans l'intime conviction que ce serait lui à jamais pour une raison qui lui a toujours échappé autant qu'elle a été limpide dans sa petite tête, Mallory a enfin le sentiment d'avoir trouvé la place qui lui était réservée, là, au creux des bras qui l'enlacent un peu plus fort comme si cette simple étreinte allait sécher ses larmes et apaiser les lourds sanglots qui s'écrasent contre le t-shirt de ce garçon qu'il y a quelques minutes encore, il s'apprêtait à chasser de chez lui et à oublier, prêt à renoncer à son rêve d'adolescent que seuls ses yeux bruns symbolisaient à chaque fois qu'il les regardait. L'espoir qu'une personne, au moins, serait en mesure de combler tous les vides que d'autres avaient laissé, que sa maladie l'obligeait à affronter chaque jour. Sera-t-il à la hauteur ? Mallory n'en sait absolument rien, et il ne réfléchira pas plus avant à la réponse. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il a une chance d'essayer et qu'il serait encore plus fou qu'il ne l'est déjà pour ne pas la saisir.

Parce que la chaleur dans laquelle il est enveloppé trouve un écho dans ses pensées fatiguées par les tâtonnements et les échecs, les refus et les rebuffade, parce qu'il comprend enfin qu'il ne s'est pas battu pour rien contre l'hésitation du jeune homme qui le serre contre lui, qu'il n'a pas passé tous ces mois, toutes ces années à l'attendre pour rien. Et dire qu'il était prêt à renoncer, il se sent maintenant plus stupide que jamais. Je t'aime tellement. Plus encore qu'hier, et bien moins que demain, comme chaque jour jalonnant ses pas depuis qu'il l'a retrouvé. Il n'a jamais été foutu de l'oublier. « Je suis désolé, entend-il alors au-dessus de lui, et le soulagement l'envahit au moins aussi sûrement que l'étreinte de l'homme qu'il aime, et qui prend enfin conscience de son erreur, sa seule erreur : ne pas lui avoir donné la chance de lui prouver qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur. J'suis... j'suis désolé Mallo. » Alors maintenant, il la mérite cette affection, elle est vraie, elle est réelle, c'est terminé ces petits jeux malsains où il l'amenait jusqu'à lui pour mieux le repousser au moment où ça devenait sérieux ; il aura fallu quinze ans, quelques mois et dix jours de torture pour que cela arrive, et Mallory a envie de se dire que tout ce temps n'était qu'une épreuve pour rendre les choses plus belles et plus incroyables que tout ce qu'il a imaginé. Lové dans ses bras, le nez contre son cou, il oublie la colère, la rancoeur et la déception, s'accroche une dernière fois à l'espoir qui trouve enfin une réalité tangible dans les mains de son amant qui glissent dans ses cheveux et dans son dos, tremblantes, au moins aussi fébriles que celles qui ont accroché son t-shirt.

« J'te promets que ce sera différent maintenant, et il a envie d'y croire Mallory, ces promesses-là il a trop rêvé de les entendre pour les repousser, Isma, t'es là, enfin, enfin t'es là. Si tu... si tu veux bien qu'je reste, si tu veux bien essayer une dernière fois, j'ferai plus... tout ça, je ferai attention, n'importe quoi, j'te promets que... j'te promets ce que tu veux. Je suis désolé... » Il ne répond pas tout de suite le chanteur, encore inconscient qu'il attend une réponse, quelque chose. Il attend doucement que ses larmes se tarissent dans ses bras jusqu'à ce que l'épuisement le happe, le fasse tanguer avant d'être retenu par les bras qui le protègent, enfin. Il le voit. Il le voit pour de vrai, il l'aime, il le lui a dit, et il a tellement de mal à y croire après tout ce temps passé à l'attendre. Finalement, et après de longues minutes de silence ponctuées de soupirs et de reniflements, Mallory relève le nez, les yeux rouges, le visage pâli par la lassitude. « J'suis... je suis fatigué, articule-t-il maintenant que la journée est terminée, et que le poids du concert et de l'horrible soirée lui tombent enfin sur la gueule. J'suis fatigué. »

Il n'en faut pas plus à Ismaël ; les bras le relâchent, l'un fauche ses jambes maigres, l'autre attire son dos jusqu'à sa poitrine pour le laisser passer ses propres membres autour de son cou, lover son visage contre son épaule. En douceur, le baroudeur le conduit jusqu'à sa chambre dont il connait désormais le trajet par coeur, puis le dépose doucement sur son lit. Les membres gourds du chanteur peinent à retirer ses vêtements et deux mains, douces, l'aident à se mettre au lit ; quelle heure il est, il n'en sait rien, et là où il s'attendait à le voir s'allonger près de lui une fois sous ses draps, Mallory ouvre faiblement les paupières pour voir le johtien debout, devant lui, sans savoir trop où aller. Alors il tend une main, saisit au vol celle qui se trouvait encore près de ses cheveux. « Reviens, murmure-t-il doucement, et il entend à peine le soupir tremblant de soulagement qui résonne dans la pièce. » En quelques secondes, la silhouette désormais familière de son amant le rejoint, l'attrape, le cale contre son épaule. Rassuré et incapable de se rendre compte que tout ça n'est pas encore l'un des multiples rêves qu'il a fait ces dix derniers jours, Mallory sombre doucement dans le sommeil, emporté par une série de caresses le long de son dos, des baisers sur son front, ses joues, ses tempes. T'es là. T'es enfin là.

Et aujourd'hui, il peut enfin oser espérer qu'il ne le laissera plus jamais.

Alors, est-ce qu'il va accepter, Mallory ? Est-ce qu'il va prendre ce risque, lui donner cette chance ou vouloir essayer une dernière fois ; Ismaël ne sait même pas comment formuler ses craintes, ni ses espoirs, tout ce dont il est sûr c'est qu'il ne veut pas que ça s'arrête, pas maintenant et surtout pas comme ça, pas à cause d'une évidence qu'il n'a pas su voir ou de mots qu'il n'a pas su prononcer, c'est trop bête et cette idée fait naître dans son esprit une pensée qui ne l'avait jamais effleuré auparavant. Malgré toutes ses erreurs, tous ses coups de tête et les conséquences qu'ils ont pu avoir, de tous les regrets qu'il a pu entasser au cours de sa vie, il sait que ça, celui-là, cette erreur-là, il ne se la pardonnera jamais ; pas si elle doit tout lui coûter de cette façon. La plupart du temps, il a pu réparer ses conneries ou les atténuer, il a pu avoir ou saisir la chance d'agir pour contrebalancer le poids de conséquences qu'il n'avait pas su anticiper. Mais si Mallory refuse, cette fois, ce ne sera pas le cas. Et tandis qu'il le berce dans ses bras, caressant son dos et priant pour que l'issue de tout ceci soit celle qu'il attend, c'est belle et bien la peur qui l'empêche de prononcer le moindre mot, la moindre parole de réconfort ou encore de répéter cette phrase qu'il a trop tue par le passé. Il tremble, lui-aussi, et le corps pourtant solides qui soutient la silhouette gracile de son chanteur lui semble fait d'argile, de papier, ou de n'importe quelle matière friable qui pourrait partir en morceaux sous le poids de quelques mots qu'il prie pour ne pas entendre.
Finalement, après de longues minutes d'un silence entrecoupé de leurs deux respirations et des sanglots de plus en plus faibles de Mallory, celui-ci finit par prononcer une phrase, simple, qui coupe le souffle du baroudeur : « J'suis... je suis fatigué, dit maladroitement le musicien, dont la voix résonne faiblement. J'suis fatigué. »
Alors aussitôt, et malgré la question restée sans réponse qui tourne en boucle dans l'esprit d'Ismaël, celui-ci hisse le garçon dans ses bras pour le porter jusqu'à la chambre. Son coeur bat puissamment au creux de sa poitrine, en dépit de la lenteur des pulsations, il a l'impression d'entendre leur écho résonner dans tout son corps ; qu'est-ce qu'il doit faire, est-ce qu'il doit dire quelque chose ? Qu'est-ce que ça veut dire ; qu'il est trop fatigué pour prendre sa décision ce soir ? Et en attendant ? 
Décidant de se concentrer sur une chose à la fois, le jeune homme aide patiemment Mallory à se défaire de ses vêtements, le porte sous le drap, comme s'il voulait le border. Quelques doigts s'égarent dans les cheveux du garçon dont les yeux se ferment déjà d'épuisement et lui, il reste planté là, debout près du lit, incapable de savoir quoi faire ; est-ce qu'il a le droit de rester, de dormir sur le canapé en attendant que le champion se repose ? C'est ce qu'il s'apprête à faire, ne serait-ce que pour laisser un peu plus de temps à Sophie et Lysaria si jamais Mallory devait décider d'en rester là mais, avant même qu'il ait pu se résoudre à s'éloigner du lit, une main saisit la sienne, le fige un peu plus d'attention. « Reviens. » 
Il est lourd, le soupir de soulagement qu'Isma échappe en comprenant ce que ça signifie, au moins pour ce soir ; il ne lâche la main de son chanteur que le temps d'expédier ses chaussures et quelques-uns de ses vêtements avant de prendre prudemment place sous le drap pour installer Mallory dans ses bras, la tête au creux de son épaule. En quelques secondes seulement, il sent le souffle du garçon s'allonger, s'alourdir ; il dort déjà, et Ismaël donnerait beaucoup pour pouvoir en faire autant, mais ses pensées sont survoltées et il sait déjà qu'il ne trouvera pas le sommeil avant de longues minutes. Qu'est-ce qui se passera, demain, est-ce qu'il est supposé faire quelque chose de particulier pour faire pencher la balance en sa faveur ? Est-ce qu'il a seulement le droit d'essayer d'en faire encore pour influencer Mallory alors qu'il y a déjà bien assez d'éléments à prendre en compte pour une décision pareille ? Il n'en sait rien, il n'en sait foutrement rien mais s'il a bien une certitude, c'est qu'il n'imposera plus jamais quoi que ce soit au garçon qu'il a encore la chance de pouvoir tenir contre lui cette nuit, et qu'il chérira de toutes ses forces durant le temps qui lui sera accordé.

Ce matin, et contrairement aux autres depuis dix jours, ce n'est pas la lumière du jour qui réveille un Mallory encore épuisé, mais le silence de la chambre et un rêve qui s'éteint doucement derrière ses paupières closes, qu'il ouvre en les clignant faiblement, la respiration un peu courte d'un habituel cauchemar qu'aucun bras ne fait taire, comme d'habitude. Ce qui le surprend d'abord en premier, ce ne sont pas les draps vides et défaits près de lui, ni l'heure un peu tardive qui s'affiche sur le réveil, ce Dimanche matin. C'est l'obscurité qui enveloppe la chambre, les volets fermés pour la première fois depuis très longtemps. C'était une drôle d'habitude d'Isma quand il dormait encore chez lui, de le laisser dormir une ou deux heures de plus que lui, conscient que le malade se fatigue plus vite et a besoin d'un peu plus de sommeil que le commun des mortels. Dans le cas contraire et quand il dormait seul, c'était le soleil qui réveillait le garçon, parce qu'il n'a jamais pensé à fermer ses stores quand il dormait seul. Ce matin pourtant, seuls quelques petits points de lumière filtrent à travers les volets de la chambre. Isma ferme toujours les volets quand il se lève le matin.

Alors ça lui revient aussitôt, et les dernières traces d'un rêve qu'il oublie déjà s'effacent dans son esprit quand il se redresse d'un bond en écarquillant les yeux. Il y a la marque d'une tête sur l'oreiller, il fait noir, et un parfum caractéristique envahit ses narines pour la première fois depuis dix jours : Isma est passé par ici, hier soir, il est venu hier soir, il y a eu le concert, le garçon dont il a déjà oublié le nom, l'escalade de l'immeuble, l'attente devant la fenêtre et ce qu'il lui a dit ensuite, quelques phrases qui se sont gravées dans sa mémoire et qu'il reçoit comme une claque maintenant qu'il a dormi. J't'aime, je t'aime, j'veux pas te perdre. Et la vague de joie qu'il devrait ressentir à ce simple souvenir n'arrive pas, remplacée par une angoisse latente qui s'impose dans son esprit quand il regarde autour de lui, le drap refermé entre ses doigts maigres, les cheveux en pétard et l'air un peu hagard, soucieux. Ismaël est venu hier soir, il n'a pas pu rêver ce qu'il s'est passé et les volets en sont le premier témoin ; mais alors, où est-ce qu'il est, le baroudeur ? Le coeur battant d'angoisse à l'idée qu'il ait changé d'avis, Mallory se redresse d'un bond, en caleçon, et quitte la chaleur de son lit pour se glisser dans le couloir, silencieux.

Quand le baroudeur venait dormir chez lui, ça sentait bon dans l'appartement. Il faisait toujours un truc à manger le matin, des crêpes, des gaufres ou des pancakes, des fois des trucs un peu moins bons à base de baies qu'il l'obligeait à manger pour prendre des forces et sortir se promener, ou aller à l'escalade. Ce matin pourtant, il n'y a personne, et aucune odeur ne vient chatouiller son nez autre que celle de la cigarette, ancienne. Les yeux écarquillés, et un peu à la manière d'un gosse, Mallory s'avance prudemment dans le couloir, entre dans un salon vide. Son carnet de partitions n'est pas rangé mais quand il approche de la table basse, il n'y a aucun mot, pas plus que sur celle de la salle à manger, rien. L'estomac tordu par ce qui n'était qu'une simple inquiétude et qui se mue soudainement en angoisse, il se retourne, appelle en direction de la porte fermée de la salle de bains un peu plus loin, bien qu'aucun bruit d'eau ne se fasse entendre. « Isma ? » appelle-t-il, la voix rauque et encore un peu endormie. Aucune réponse. Quand il part vers la cuisine, c'est sans surprise qu'il ne trouve absolument personne. Ismaël n'est pas dans l'appartement.

Quand il retourne dans le couloir en direction de sa chambre, c'est sa paranoïa qui prend alors le pas sur toute pensée rationnelle et raisonnable. Il est parti, il a changé d'avis, il a sans doute reculé quand il a compris ce que tout ce qu'il a fini par lui avouer signifierait plus tard. La porte de la cage est restée ouverte cette nuit, il était trop malheureux et trop fatigué pour la refermer, et voilà que le bel oiseau de feu s'est enfui par la fenêtre, laissant là, debout au milieu de sa propre chambre et un peu hagard, un Mallory aux pieds bien ancrés sur la terre ferme, les chevilles alourdies par la peur et le chagrin. Aussitôt, elles reviennent, ces larmes qu'il croyait taries depuis la veille au soir mais qui jaillissent de ses paupières aussitôt que son esprit lui sussure qu'il ne reviendra pas cette fois, que c'était le dernier espoir, la dernière certitude et qu'il la lui a cruellement enlevée. Pris d'un soudain vertige, le chanteur titube, s'assoit sur son lit, une jambe repliée sous lui et le corps ployé en avant, pris d'une étrange nausée en même temps que le premier sanglots qui l'envahit. Quel con il a été, hein ? Maintenant il est tout seul, comme un pauvre idiot qui a encore cru aux mots d'un beau parleur, tout seul et triste parce qu'il n'a jamais mérité l'amour de ce garçon et qu'il ne le méritera jamais. Ses sanglots silencieux sont couverts par les murmures qu'il est le seul à entendre, le rendant sourd à la porte d'entrée qui claque doucement une quinzaine de minutes plus tard. Il est tout seul. Isma est parti et ne reviendra jamais.

Cette nuit, Isma est tombé dans le vide. Ce n'était pas le genre de chutes qu'il aime, lui qui n'affectionne que peu de sensations autant que celle du vent qui siffle à toute vitesse autour de lui ; là, il ne volait pas, ce n'était pas contrôlé, ce n'était pas normal. Il tombait, et en arrivant au sol, sur ses jambes, elles se brisaient. Ce n'était pas vraiment douloureux, en fait la sensation elle-même était plutôt agréable - ce qui ne rendait la situation que plus bizarre encore. Et puisqu'il ne ressentait pas la moindre douleur il a commencé par se dire que ce n'était pas si grave, finalement ; et c'était même plutôt encombrant, ces deux membres inutiles dont il ne pouvait pas se servir mais qui restaient là quand même. Alors il les a enlevées, et il les a foutues à la poubelle ; Isma n'a jamais été du genre à s'encombrer de poids inutiles comme ça. Le problème c'est qu'il n'a réalisé qu'après que du coup, il ne pourrait pas les réparer, et qu'il ne pourrait plus jamais marcher. 
C'est comme ça qu'il s'est réveillé, ce matin-là. Cette nuit, il est tombé. Mais il a aussi été menacé par un pistolet tenu par Mallory, il s'est battu avec Isaïah et il a fait la course contre un Dodrio avec une tête de Mackogneur, une autre de Muplodocus et une dernière de Chacripan, alors autant dire que ça ne l'a perturbé que quelques secondes à son réveil avant qu'il ne s'extirpe le plus silencieusement possible des draps dans lesquels il s'est endormi, en prenant bien soin de ne pas réveiller le propriétaire du lit. Rôdé à l'exercice de la fuite au petit matin, il prend même le temps de fermer les volets avant de sortir pour s'assurer que le chanteur dorme encore un moment ; en tout cas, c'est le plan, parce que s'il le voit partir, il aura bien du mal à trouver une explication qui ne fasse pas tout foirer.
Isma est habitué aux cauchemars, mais celui-là lui traîne dans la tête et il n'aime pas ça. Dans quel ordre ces drôles d'événements se sont-ils déroulés pour que l'histoire se termine comme ça ? C'est complètement stupide. Voilà ce à quoi il pense alors qu'il enfile vêtements et chaussures, judicieusement ramenés dans le couloir pour s'assurer que la manipulation ne réveille pas le propriétaire des lieux. Il aimerait bien savoir, quand même, pourquoi il ne se rappelle jamais de ses rêves mais que ses cauchemars sont toujours bien ancrés dans sa petite tête au réveil. Ce serait bien plus sympa si c'était l'inverse.
Sur la pointe des semelles, il se dirige vers la porte d'entrée en se demandant s'il a commencé par se battre avec Isa ou s'il l'a fait parce que Mallory le menaçait avec ce pistolet ; la porte est fermée à clé. Apparemment, Mallory avait vraiment peur qu'il vienne enfoncer la porte, hier soir ; et il n'avait pas peur pour rien parce que vu l'état dans lequel il était, ça n'aurait pas été si surprenant. Et ce Dodrio alors ? Grimaçant, le baroudeur envisage une seconde de passer à nouveau par la fenêtre mais un coup d'œil à sa main suffit à l'en dissuader : il va devoir passer par la case pharmacie et vite, si possible. Du coup, il n'a plus qu'à trouver les clés dans la veste de Mallory.

C'est vachement bizarre. Un Chacripan, un Mackogneur et un Muplodocus... Si Mallory est le Chacripan, alors le Muplodocus, c'est Choupette adulte, qui doit représenter Oliver. Et le dernier... il ne voit pas. Lui ? Ou le type chelou d'hier ? Bah, ça n'a aucun sens, tente-t-il de se débarrasser de tout ça en récupérant la clé de l'appartement, abandonnée sous la veste jetée sur le canapé à la va-vite la veille. Bien. En quelques secondes de plus, la porte est refermée derrière-lui avec précaution, sans claquer ; Mallory ne s'est pas réveillé et lui, il a quitté l'immeuble en une minute seulement.


« Dis, t'as pas un pistolet quelque part dans l'appart ? »
Voilà les premiers mots qui franchissent les lèvres d'Ismaël quand il débarque dans la chambre, sourire aux lèvres, main droite bandée et main gauche refermée sur un petit sac en papier contenant un thé menthe-cannelle, un café noir et très serré sans sucre, et un sachet de chouquettes pour le petit déjeuner. Il a vu que quelques objets avaient été déplacés dans le salon entre son départ et son retour alors il a supposé son amant réveillé ; il ne s'est pas trompé, mais le spectacle qu'il découvre en arrivant dans la pièce est très éloigné de celui auquel il s'attendait.
Mallory est bien là, oui, mais il est prostré sur son lit, recroquevillé sur lui-même et son visage a disparu au creux des bras qu'il a refermés autour de ses genoux. Est-ce qu'il... pleure ? Oui, la surprise lui fait apparemment relever la tête, dévoilant un visage baigné de larmes, deux yeux rougis et l'expression la plus malheureuse qui soit. Aussitôt, Isma panique ; il lâche son sac sur la commode et se précipite vers le lit pour s'approcher du garçon dont l'expression s'est totalement figée quand il l'a vu. « Ça va ?! Qu'est-ce qui se passe, t'as... tu t'es blessé, qu'est-ce qui t'arrive ? demande-t-il, inquiet, en dévisageant le garçon sans comprendre. »
À tous les coups, il en a encore fait une ; lui qui pensait faire pencher la balance en sa faveur en commençant sa première journée de mec parfait par un petit déjeuner surprise... 

Mallory aurait dû s'en douter, c'était beaucoup trop beau pour être vrai ; cet homme qui lui a fait toutes ces confessions hier soir n'est pas le même que celui de ce matin, qui a sans doute pris la fuite en comprenant ce qui était en train d'arriver. Le jeune homme sanglote silencieusement, le front contre ses genoux, parce que cette fois il était persuadé qu'enfin tout était terminé, clair ; pourquoi vouloir à tout prix détruire cette chose-là, en quoi c'est mal de l'aimer Ismaël, a-t-il fait une seule chose qui ait pu le conduire à ça depuis des semaines, alors qu'il fait tous les efforts du monde pour devenir quelqu'un de meilleur, de fréquentable, quelqu'un qu'il pourrait aimer ? Il ne comprend plus rien. Hier, le baroudeur pleurait, pas autant que lui mais il pleurait, il l'a emmené se coucher, ses bras sont restés enroulés autour de lui toute la nuit, il les a sentis à chaque fois qu'un cauchemar l'a réveillé. Alors pourquoi ? Ce matin quand il a regardé à la fenêtre, a-t-il pensé qu'il ne rejoindrait plus jamais le ciel ? C'est injuste. Il lui suffisait de lui construire des ailes assez grandes et assez solides pour le suivre, c'est tout, et Mallory se serait jeté dans le vide sans même voir si elles allaient fonctionner. Résigné, le chanteur en détresse cache son visage derrière ses cheveux. Il n'a pas la moindre idée de ce qu'il va faire, maintenant.

« Dis, t'as pas un pistolet quelque part dans l'appart ? » Cette voix, est-ce qu'il est en train de la rêver ? Oui, non, il ne sait pas, mais le timbre joyeux qu'il perçoit à l'entrée de la chambre lui fait très vite relever le nez, le visage inondé de larmes. Ses yeux levés vers son amant peinent à comprendre ce qui est en train de se passer, quand une odeur de café envahit la chambre, que le sourire d'Ismaël se décompose en voyant l'air malheureux et presque terrifié du champion qui se demande s'il va devoir se pincer pour se réveiller ou si son beau baroudeur est rentré. Ce dernier ne lui laisse pas le temps d'ouvrir la bouche de toute manière, qu'il a déjà lâché le sac qu'il tenait pour se précipiter vers lui, s'agenouiller près du lit pour croiser ses yeux sombres, écarquillés de surprise. Il est là alors ? Il est vraiment là ? « Ça va ?! Qu'est-ce qui se passe, t'as... tu t'es blessé, qu'est-ce qui t'arrive ? »

Mallory doit absolument remettre ses idées en ordre avant de répondre. Tout d'abord, il lève le nez, pour regarder autour de lui. Isma n'était pas dans l'appartement, il est donc sorti, sans laisser de mot, pour aller faire il ne sait quoi. Quand il tourne la tête vers la table de chevet, il trouve un sac en papier, frappé d'un petit ronflex dessiné ; à l'intérieur, il aperçoit rapidement deux gobelets. L'odeur de café. Retenant presque sa respiration, il avise rapidement les clés dans les mains de son amant, le petit déjeuner sur la table, le bandage sur sa main et ce sourire qui s'est mué en expression inquiète. Il est sorti pour ça ? Pour aller chercher à manger ?
Aussitôt, le chagrin disparait, et si le soulagement aurait dû être sa première émotion après la veille et tout le bordel de ces deux dernières semaines, c'est presque outré qu'il se redresse, honteux d'avoir autant pleuré pour rien, conscient que ses nerfs fragiles ne pourront pas supporter l'absence de repères nets comme ceux qu'il va exiger au baroudeur, et ça commence maintenant. « E... espèce de crétin, balbutie-t-il, les yeux toujours un peu trop grands ouverts, t'aurais... un mot sur la table la prochaine fois, imbécile, j'ai cru que... »

Et il ne prend pas vraiment le temps de dire autre chose ; sur ces premières paroles de la journée à l'amabilité incontestable, il attrape par la nuque le jeune homme tout surpris dont il n'arrive pas à déchiffrer l'expression pour le faire basculer sur le matelas sans autre forme de procès. Il est resté, il est même allé chercher le petit déjeuner, il l'aime, il est là, et il peut enfin se sentir soulagé et heureux Mallory, quand il empoigne le col de son amant pour le plaquer contre sa bouche après quinze jours de famine, qu'il retrouve la raideur de ses cheveux bruns, la douceur piquante de ses lèvres et la fermeté de ses bras qui, par réflexe, se referment autour de sa silhouette maigre.

Le chanteur a l'air complètement perdu, et on ne peut pas dire que ça rassure beaucoup Ismaël, qui pose ses mains sur les épaules du garçon, l'observe sous toutes les coutures, détaillant les sillons humides sur ses joues, la pâleur de sa peau et la rougeur de ses yeux égarés qui le dévisagent comme s'il avait un fantôme en face de lui.
Le baroudeur attend une réponse qui ne vient pas ; au lieu de ça, les prunelles d'encre de son champion s'égarent sur le côté, semblent observer chaque détail de la pièce. Est-ce qu'il sait où il est, seulement ; et pourquoi il pleure, qu'est-ce qui s'est passé, hein ? Isma meurt d'inquiétude, mais son observation minutieuse ne lui révèle aucun mal physique qui pourrait être responsable de l'état de Mallory alors... alors quoi ?
Vraiment angoissé maintenant, il s'apprête à poser la question encore une fois, à insister, mais tout à coup, les épaules voutées de Mallory se dressent et son expression toute perdue se mue en une autre, à mi-chemin entre l'exaspération et... la colère ? Mais ? « E... espèce de crétin, bredouille le garçon sous le nez d'un Ismaël qui ne comprend strictement rien, t'aurais... un mot sur la table la prochaine fois, imbécile, j'ai cru que...
– Mais... »
Mais rien du tout ; il n'a toujours pas compris le problème, sauf que de problème il ne semble plus y avoir quand deux mains accrochent sa nuque pour le précipiter contre la bouche avide et empressée du chanteur au comportement totalement incohérent. Enfin, il ne va pas s'en plaindre.

Il pourrait sans doute un peu, parce que le revirement de situation envoie dans son ventre un vertige digne d'un saut à l'élastique et c'est sans rien pouvoir faire pour s'en empêcher qu'il se laisse entraîner sur le matelas, ancré à la bouche dévorante qui a saisi la sienne. Il peut à peine se rattraper, occupé à enfermer la silhouette de Mallory entre ses bras, les pensées mises en vrac par la vague de chaleur qui gagne ses membres les uns après les autres, de quoi le faire chavirer en un instant dans une dimension où plus rien ne comptera finalement que la peau brûlante de laquelle il cherchera à s'imprégner par tous les moyens.
Cette volonté s'accentue quand, une seconde plus tard, renversé sur le dos par un mouvement de hanches de son amant, il pose ses yeux légèrement écarquillés sur le visage de Mallory au terme d'un baiser ardent, réalisant tout à coup qu'il n'a toujours pas de réponse à l'autre de ses questions, la plus importante. En découle immédiatement une crainte affreuse qui l'empêche de s'emparer du jeune homme comme il l'aurait fait en temps normal, le contraignant au contraire à une passivité inhabituelle tandis que sa veste et son tee-shirt lui sont retirés : est-ce que ça, cette étreinte qui se profile, c'est la dernière fois ?
Mallory ne lui a rien dit, il ne sait pas, il n'a rien répondu hier et ce matin il n'a pas prononcé une seule phrase cohérente avant de le jeter sur ce matelas ; est-ce que c'est dans cette angoisse-là, celle de se voir évincer d'une heure à l'autre, que Mallory vit depuis qu'ils ont recommencé à se voir ?
Isma n'a pas vraiment le temps de se poser davantage la question, mais ses mains tremblent un peu alors qu'elles effleurent puis caressent le corps adoré de son amant, dont il ne sait vraiment comment se saisir cette fois, là où tout a toujours été si naturel, avec lui. Est-ce que c'est ce que ça fait toujours, quand ça compte et que rien n'est sûr ? C'est la première fois qu'il connaît ça, lui ; il n'ose pas imaginer ce qui se passera si au terme de cette étreinte il devait être mis à la porte, comme lui n'a pas hésité à jeter dehors ce même garçon qu'il a aujourd'hui si peur de perdre. Alors, l'intensité de sa connerie est assez difficile à encaisser, quand bien même il l'aurait déjà en partie appréhendée au cours de la terrible soirée de la veille. C'est vraiment ça, que je t'ai fait vivre tout ce temps ?
Il aurait pu tout arrêter et tendre les bras pour y enfermer Mallory, quand le glas de sa culpabilité se met à résonner dans sa grande tête vide, mais le besoin de lui qui l'obsédait depuis deux longues semaines déjà se fait bien trop impérieux pour lui en donner l'occasion quand les morsures caressantes de son amant s'égarent lentement le long de son cou. Il en oublie de se détester, préférant empoigner finalement les hanches osseuses ondulantes au-dessus des siennes pour les plaquer contre lui, jurant que s'il tient là sa dernière chance de montrer à Mallory l'étendue de la dévotion dont il est désormais prêt à faire preuve, alors il ne la laissera pas passer.

Lentement, les craintes d'Ismaël sont aspirées dans la confusion habituelle qui le gagne à mesure que les gestes égarés sur sa peau lui font perdre pied ; il a beau connaître par cœur chaque geste de cette danse maintes et maintes fois orchestrée, il semble qu'aucun pore de son épiderme ne soit décidé à s'en lasser. De sa bouche déjà gonflée de baisers dont s'échappe un souffle erratique à ses mains qui tremblent en ne sachant plus comment esquisser des gestes pourtant répétés des centaines et des centaines de fois. C'est presque comme si cet homme, dont il ne peut qu'accepter la douce emprise qui s'égrène lentement le long de son corps, était totalement différent de celui qu'il a connu jusqu'à maintenant ; ou comme si lui, il était suffisamment différent pour simplement accepter le sens que toute la tendresse et tout l'amour qu'il a muselés pendant des mois donnent à cette étreinte.

Le souffle et la raison d'Ismaël se sont enfuis et, s'il ne sait pas où, le fait est qu'il a beaucoup de mal à retrouver tant l'un que l'autre. De toute façon pour le moment, il n'en a pas vraiment besoin ; le corps de Mallory, brûlant, est étalé sur lui. Sa respiration hachée le berce et en fermant les yeux, il est quasiment certain qu'il s'endormirait en un instant. Sauf qu'une autre urgence, bien plus impérieuse encore que celle qui appelait son corps à celui de son amant, le pousse à encadrer de ses mains les épaules du garçon que, malgré l'épuisement, il force à reculer juste assez pour pouvoir croiser ses yeux noirs. « Tu... tu veux que je, articule-t-il, la voix entrecoupée d'inspirations heurtées, haletantes et épuisées. Tu veux bien que... je reste, hein ? »

De longues secondes passent, durant lesquelles Mallory s'emploie à retrouver son souffle égaré au creux des bras qui l'enlacent avec plus de tendresse que jamais. L'angoisse qui l'animait quelques instants auparavant à l'idée de le voir partir pour ne plus jamais revenir a presque totalement disparue, maintenant qu'il se sait prêt à le supplier une dernière fois pour rester ; mais il n'en a pas le temps, parce qu'Isma lui coupe l'herbe sous le pied, quand il se redresse pour le faire basculer doucement, les yeux brillants d'une émotion qu'il a du mal à interpréter. Est-ce qu'il a peur ? Mais de quoi ? « Tu... tu veux que je... entend-il sans rien comprendre, attendant avec peu de patience ce que le baroudeur s'apprête à lui demander. Tu veux bien que... je reste, hein ? »

Un temps, Mallory ne répond rien, soufflé par la surprise. Alors c'était ça ? Il a peur qu'il lui demande de s'en aller, mais pourquoi ? Toutes ces semaines n'ont-elles pas suffi à lui faire comprendre qu'il a toujours dépendu de lui, après tout ? C'est à Isma de décider, ça a toujours été à lui ; et quand il comprend que non, qu'aujourd'hui son avis compte vraiment et que tout repose désormais entre ses mains, il prend dans le même temps conscience que ce cauchemar va s'arrêter, et que tout ce qui s'est dit la veille ou ce matin était vrai et le sera encore demain.
Et alors, ce sont quinze années d'attente qui ressurgissent d'un seul coup au bord de ses yeux sous forme de larmes énormes qui roulent automatiquement sur ses joues en dépit du sourire un peu halluciné qu'il esquisse. C'est bien, il ne fait que pleurer depuis la veille mais cette fois sera la dernière et il le sait. Quinze ans à attendre une phrase comme celle-là, quinze années écrasé sous le poids de l'impatience et de l'espoir, maintenant il peut, maintenant il a le droit, maintenant il est à lui pour de vrai. Il en tremble Mallory, parce qu'il n'a rien espéré plus fort que ça durant toute sa vie, absolument rien. Cette main qui se glisse sur sa joue, cet air soucieux, ce corps étalé sur son lit, cette putain de question et tout ce qu'elle implique. « Si tu t'en vas encore une fois, balbutie-t-il entre deux soupirs hachés pour retenir des pleurs stupides, j'te le pardonnerai jamais. »

C'est sûrement con de balancer ça comme ça mais il n'a jamais été très doué pour ça Mallory, tout au plus peut-il se lover dans les bras de son amant maintenant, savourer cette étreinte et la vivre sans craindre de le voir repartir. « Je, je t'aime, bégaie-t-il en cachant son visage contre son épaule, enfin, putain... » Enfin, c'est fini tout ça. C'est bel et bien fini, il a réussi. La cage est ouverte, mais l'oiseau flamboyant est perché sur son bras désormais, et il ne s'envolera plus jamais loin de lui. « J'ai cru, que, ce matin, j'ai cru que t'avais eu peur et que t'étais parti, explique-t-il enfin pour justifier son état quand le baroudeur est arrivé. La prochaine fois laisse un mot espèce de connard... » Mais ses bras qui se referment autour de lui ne donnent absolument aucune crédibilité à l'insulte, bien sûr ; pas plus que ses larmes qui sèchent doucement, remplacées par un drôle de rire joyeux et soulagé. Enfin, enfin t'es à moi.

Les traits d'Ismaël sont marqués par l'angoisse, quand bien même seraient-ils encore défaits par la grisante sensation qui l'a traversé seulement quelques instants plus tôt, et les endorphines qui font fourmiller toute sa tête. Parce qu'il est là, l'enjeu de cette matinée, de la soirée et de la nuit dernière ; est-ce qu'il aura le droit de rester, est-ce qu'il va pouvoir essayer de faire les choses correctement, cette fois ?
Le silence de Mallory et ses grands yeux noirs qui se remplissent de larmes non-plus ; il commence même à paniquer parce que peut-être que c'est le dépit et la fatalité qui le pousseront à lui dire non, quand bien même mourrait-il d'envie de prononcer les mots inverse. Dans ce cas, peut-être qu'il se fera mentir et qu'il insistera, peut-être qu'il essaiera encore un peu de le convaincre. Il n'en sait rien, il verra bien mais avant toute chose, c'est une réponse qu'il lui faut. Et elles s'étirent en un sourire, les lèvres de Mallory ; un sourire qui aurait pu donner définitivement sa réponse à Ismaël si celui-ci avait été tordu, amer, moqueur, quoi que ce soit d'autre finalement que cette expression hallucinée, débordante de bonheur en dépit des longs sillons qui se creusent sur les joues du garçon. « Si tu t'en vas encore une fois, j'te le pardonnerai jamais. »
Ça veut bien dire ce qu'il croit que ça veut dire ? se demande bêtement le baroudeur en ne sachant pas vraiment s'il doit éclater de joie ou se mettre à pleurer, lui-aussi ; quoique les deux ne sont pas incompatibles, sans doute. Un grand sourire bien finalement barrer son visage alors qu'il sent l'angoisse le quitter comme on retirerait le monde entier de ses épaules, et c'est en clignant très vite des paupières pour s'empêcher de fondre en larmes qu'il enserre la silhouette de son amant entre ses bras. De toute façon, il n'a pas l'intention de s'en aller encore une fois. « Je, je t'aime, enfin, putain... » 
Effectivement, ce n'est pas trop tôt, et c'est sûrement ce qui fait doucement hoqueter le baroudeur, entre rire et sanglots, alors qu'il cache son visage dans les cheveux sombres de Mallory. « J'ai cru, que, ce matin, j'ai cru que t'avais eu peur et que t'étais parti. La prochaine fois laisse un mot espèce de connard... 
– J'avais mon Motismart, débile, répond-il en donnant de petits coups de nez sur le crâne de son amant. T'as dû te réveiller juste après mon départ, j'suis parti un quart d'heure à tout casser, fallait envoyer un sms... » 
Enfin, ce drame-là n'est pas le plus grave de l'affaire, mais il peut commencer par essayer d'éviter qu'il ne se reproduise, songe-t-il en secouant la tête avant de la reposer contre celle du musicien. « Je laisserai un mot sur l'oreiller la prochaine fois, accepte-t-il en souriant, serrant plus étroitement encore le garçon contre lui en soupirant longuement d'aise avant d'ajouter, presque piteusement. Je t'ai... ramené un grand café noir, serré. Et des chouquettes. Pour le petit déj'. »

« J'avais mon Motismart, débile, entend finalement le chanteur tandis que la situation s'apaise doucement, qu'il frissonne encore des restes de leur étreinte en fermant les yeux de contentement, de soulagement. T'as dû te réveiller juste après mon départ, j'suis parti un quart d'heure à tout casser, fallait envoyer un sms... 
– Toi t'avais qu'à l'envoyer, bougonne-t-il, pour la forme. C'était compliqué de savoir et j'aurais pas osé t'écrire. » Mais maintenant, il a le droit d'oser ce genre de choses ; il a le droit de tout maintenant, il lui semble que les barrières ont explosé depuis que le baroudeur est arrivé par le balcon la veille au soir. Ça aura coûté la soirée à un pauvre fan qui ne croyait pas en sa chance, mais c'est marrant comme il s'en fout, ce matin. S'il fallait en passer par là pour qu'Isma se rende enfin compte que rien de tout ce qu'il promettait en silence ne le mettait en danger, alors soit, songe-t-il en soupirant de contentement quand le corps du johtien se cale de nouveau contre lui. Il pourrait se rendormir, mais ce serait vraiment gâcher un temps précieux, quand bien même en disposeraient-ils à foison, maintenant.  

« Je laisserai un mot sur l'oreiller la prochaine fois. » Oui, ça vaut mieux. Et d'abord, il est parti où comme ça ? ça lui revient alors, le petit sac en papier que le jeune homme a ramené ; il sourit, les yeux fermés, satisfait de sentir sous ses doigts les muscles détendus de son amant qu'il caresse doucement, dans son dos. « Je t'ai... ramené un grand café noir, serré. Et des chouquettes. Pour le petit déj'. » En temps normal, Isma se lève avant lui pour préparer lui-même ce qu'il va l'obliger à manger au matin ; ce coup-ci, il a dû vouloir faire un peu mieux, songe le champion en étirant ses membres engourdis et maltraités, lové entre deux bras qui le maintiennent. Ronronnant presque, il se redresse ; il crève de faim, ce matin, les émotions de la veille et du réveil compliqué ont au moins eu ce mérite. « J'ai déjà pris mon petit dej, ronronne-t-il en glissant quelques doigts dans les cheveux bruns du jeune homme, les yeux brillants d'une adoration silencieuse. Mais j'suis pas contre un café, ouais. » Il va au moins lui falloir ça pour assimiler le fait que son rêve d'ado soit devenu réalité.

Quelques secondes plus tard il s'assoit, et tend le bras pour se saisir du petit sac ; les gobelets sont encore chauds, et ça sent horriblement bon, ce qu'il y a dans le paquet à part. « D'accord, c'était une bonne idée, reconnait-il en entendant son estomac gronder, haussant doucement les épaules, même si j'adore tes pancakes. » ça ça a quand même l'air vachement bon aussi, songe-t-il en saisissant le premier gobelet qui passe, en enlevant le petit capuchon sans retirer le couvercle pour prendre une gorgée de café... mais ça c'est pas du café, constate-t-il en reposant immédiatement le récipient avant d'esquisser la pire des grimaces dégoûtées. « Ah putain, c'est ton thé à la con, râle le champion en secouant la tête ; qui dans ce monde à part toi boit du thé menthe cannelle, sérieux ? » Ecoeuré, il prend l'autre, puis tend le premier au masochiste qui lui sert de mec. Son mec. Bordel, c'est génial, et il sourirait encore s'il n'avait pas cet abominable goût à la bouche. « Au fait, demande-t-il après avoir pris une longue gorgée de café bien noir et tendu une main pour attraper une chouquette, c'est quoi cette histoire de pistolet ? J'pense que vu comment t'as amoché le pauvre gars d'hier il reviendra pas hein, pas besoin de le flinguer. »

Une main joueuse se glisse dans ses cheveux, et il en soupirerait de soulagement, Isma, en comprenant que cette idée-là n'était pas mauvaise, déjà. La pression qu'il se mettait à ce sujet n'était certes pas la plus importante de la matinée, mais elle était là tout de même. Il ne se doute absolument pas que la plupart de ses journées seront dorénavant jalonnées d'inquiétudes de ce genre, mais il finira bien par s'y faire. « J'ai déjà pris mon petit dej, se moque gentiment Mallory en s'échappant de ses bras. Mais j'suis pas contre un café, ouais. 
– Ça fera plus de chouquettes pour moi alors, plaisante le baroudeur en se relevant à son tour pour ramener le sachet en papier jusqu'au lit. » 
Il distribue les gobelets, déplie le paquet pour laisser son amant se servir et enfourne un petit gâteau dans sa bouche ; ces trucs sont trop bons, c'est un vrai régal. « D'accord, c'était une bonne idée, même si j'adore tes pancakes. 
– Ch'est dix fois meilleur que mes pancakes, ch'ent fois, mille fois meilleur, renchérit-il la bouche pleine en en prenant une deuxième pour la route alors que son amant prend une premier gorgée de café. » 
Sauf que dès qu'il ouvre son propre gobelet, Isma comprend qu'il y a eu confusion sauf qu'il n'a le temps de rien dire que déjà, Mallory est en train de grimacer comme s'il avait avalé un Chenipan. « Ah putain, c'est ton thé à la con, qui dans ce monde à part toi boit du thé menthe cannelle, sérieux ? 
– J'ai les papilles révolutionnaires, dans vingt ans ce sera le boisson la plus prisée de Lathea, rigole-t-il en échangeant de bon coeur ce café écoeurant et amer contre le breuvage le plus délicieux du monde. 
– Au fait, c'est quoi cette histoire de pistolet ? J'pense que vu comment t'as amoché le pauvre gars d'hier il reviendra pas hein, pas besoin de le flinguer. 
– Je l'ai à peine touché et j'ai même pas cogné, dit le baroudeur en roulant des yeux. Nan j'me doute qu'il reviendra pas, quoique ça me ferait marrer de le voir essayer. C'est que j'ai fait un rêve vraiment bizarre cette nuit et c'était à moitié un cauchemar mais... bref tu me pointais avec un pistolet, du coup je sautais par une fenêtre et je finissais paraplégique. Un cauchemar classique, sauf qu'il y avait aussi un Dodrio avec des têtes de Muplodocus, Mackogneur et un Chacripan. Je crois. Je pouvais penser à rien d'autre après mon réveil mais là... ça va mieux. »

« J'ai les papilles révolutionnaires, dans vingt ans ce sera le boisson la plus prisée de Lathea. » Ouais alors pour ça rien n'est moins sûr, parce que c'est tout simplement imbuvable. Mallory veut bien entendre que certaines modes sont étranges et souvent de très mauvais goût, mais là on parle quand même d'une boisson mélangeant deux ingrédients qui ne devraient jamais être mélangés, à tel point que ce devrait être un délit de le faire. Qu'il la récupère vite, sa boisson des enfers ; lui il se désolidarise complètement du manque de goût de son amant, parce qu'à ce stade boire ça, c'est vraiment aimer souffrir, songe-t-il en prenant une chouquette pour faire passer le goût infâme de la boisson chaude.

Et quand son histoire de pistolet est finalement mentionnée, Isma arrête immédiatement de rire pour arborer une expression un peu plus songeuse. « Je l'ai à peine touché et j'ai même pas cogné. Nan j'me doute qu'il reviendra pas, quoique ça me ferait marrer de le voir essayer. C'est que j'ai fait un rêve vraiment bizarre cette nuit et c'était à moitié un cauchemar mais... bref tu me pointais avec un pistolet, du coup je sautais par une fenêtre et je finissais paraplégique. Un cauchemar classique, sauf qu'il y avait aussi un Dodrio avec des têtes de Muplodocus, Mackogneur et un Chacripan. Je crois. Je pouvais penser à rien d'autre après mon réveil mais là... ça va mieux. 
– Tu m'étonnes, répond beaucoup plus tranquillement le chanteur en prenant appui sur la tête de lit pour se caler, à poil, en recouvrant ses jambes du drap. » Il fait plutôt frais le matin en ce moment, à Castlerain. « Et donc pour répondre à ta question non, j'ai pas de flingue chez moi mais tu aurais dû t'en douter, non ? » Ou peut-être qu'il n'y a tout simplement pas réfléchi au vu de son air perplexe. « Disons que j'ose à peine imaginer ce que mon psychiatre penserait si j'avais en ma possession une arme à feu. J'ai déjà pas le droit d'avoir des couteaux trop grands...
– Mallo ? T'es là ? »

Le bruit de la porte d'entrée et l'appel qui suit le fait sursauter si fort qu'il manque d'en lâcher son gobelet Mallory ; la voix en revanche, il la reconnait très vite. Ollie entre toujours sans frapper, et l'inverse est tout aussi exacte mais sur ce coup, il aurait beaucoup aimé qu'il le fasse. « Bah qu'est-ce qu'il fout là ? » songe-t-il à voix haute, réfléchissant à ce qui aurait pu motiver son meilleur ami à débarquer comme ça dès le matin. Les pas caractéristiques du batteur résonnent, entrecoupés du claquement de sa canne, qui d'abord parcourent rapidement le salon avant de s'approcher du couloir. Comme un con, il n'a pas le réflexe d'appeler, seulement de chercher ses fringues, éparpillées un peu partout dans la chambre. Sauf qu'il n'a pas le temps, trois coups légers sont frappés à la porte... qui s'ouvre, bah oui. « Hey, j'te rév... houla !
– Bah oui c'est ce qu'il se passe quand on entre sans autorisation, crétin ! » s'exclame un Mallory tout rouge qui a à peine le temps de se couvrir d'une partie du drap quand la tête d'Oliver passe la porte ; ses yeux écarquillés passent de lui à Isma, puis d'Isma à lui... et il fronce les sourcils. « Salut, finit-il par dire au lieu de désolé. A mon souvenir il avait les yeux un peu plus bleus et il était un peu plus petit le mec que tu devais ramener hier soir, non ? »

« Tu m'étonnes, répond Mallory, vantard, ce qui arrache un petit rire au baroudeur occupé à savourer son super thé. Et donc pour répondre à ta question non, j'ai pas de flingue chez moi mais tu aurais dû t'en douter, non ? » 
Oui, sans doute, enfin pourquoi ? Le fait que ce soit interdit n'a jamais empêché le chanteur de faire ce qu'il avait envie alors pourquoi pas, vues ses tendances paranoïaques ce ne serait pas tout à fait insensé. « Disons que j'ose à peine imaginer ce que mon psychiatre penserait si j'avais en ma possession une arme à feu. J'ai déjà pas le droit d'avoir des couteaux trop grands...
– Mallo ? T'es là ? »
Du coup effectivement, ceci explique cela ; par contre la voix qui résonne là, c'est Oliver ? « Bah qu'est-ce qu'il fout là ? 
– J'ai pensé mot pour mot la même chose, dit simplement le baroudeur en se contorsionnant pour ouvrir le tiroir de la table de chevet dans laquelle Mallo range toujours des cigarettes. Il a l'habitude d'entrer sans frapper ? » 
Il s'en allume une et reprend une gorgée de thé ; de toute façon le batteur ne va quand même pas... ah, si. Si, il entre, comme s'il était chez lui, c'est bien. « Hey, j'te rév... houla !
– Bah oui c'est ce qu'il se passe quand on entre sans autorisation, crétin ! »
Bah pourquoi il est aussi mal à l'aise, Mallo ? Il a pas l'habitude d'être vu à poil par ses potes ? Ismaël n'a rien à cacher, lui, et il sourit tranquillement, pas vraiment ravi mais après tout, il n'est pas chez lui, lui non-plus. « Salut, lâche pourtant Oliver d'un ton glacial qui fait hausser les sourcils à Isma, lequel ne comprend pas où est le problème. A mon souvenir il avait les yeux un peu plus bleus et il était un peu plus petit le mec que tu devais ramener hier soir, non ? 
– Désolé de te décevoir, répond le baroudeur, d'un ton surpris mais clairement sur la défensive. Ça te pose souci peut-être ? Ah non pardon, j'oubliais que t'avais pas ton mot à dire. »
Franchement, il se croit où ? Si le type d'hier lui manque, il n'a qu'à aller le retrouver ; quoique la marque brune qui orne le coin de son visage donne un très bon indice sur ce qui est arrivé à monsieur-les-yeux-bleus. Sévèrement en colère mais pas décidé à gâcher une matinée qui commençait si bien, Ismaël tire sur sa cigarette et jette un coup d'oeil à la petite chose cramoisie planquée sous le drap près de lui ; Mallory a l'air trop mort de honte pour intervenir, du coup il se charge de tourner à nouveau un regard parfaitement hypocrite vers le batteur toujours planté à l'entrée de la chambre. « Et du coup t'es là pour autre chose que dire des trucs désagréables ou c'était juste pour le plaisir d'interrompre une matinée très sympa ? »

« Désolé de te décevoir. » Euh. Il a l'air hyper énervé là Ismaël, non ? D'un seul coup, ce qui allait être une super matinée faite de chouquettes, de sexe et de sexe prend une tournure un peu bizarre. Mallory est mortifié, non pas qu'il ait forcément honte d'être surpris tout nu dans sa chambre par son meilleur ami - c'est à dire qu'Oliver a déjà su profiter de ces draps-là et il est déjà arrivé qu'il débarque dans ce genre de moments par le passé - mais après deux semaines à sécher ses larmes à cause du baroudeur qui le fusille du regard, il y a sans doute de quoi être surpris. « Ça te pose souci peut-être ? Ah non pardon, j'oubliais que t'avais pas ton mot à dire. » Un sourcil se hausse de l'autre côté de la pièce. Oliver est agacé, et s'il ne réplique pas tout de suite, c'est sûrement pour laisser deux secondes à Mallory le temps de trouver une réplique pertinente qui ne vient absolument pas.

Oliver se cale contre le chambranle de la porte, soutient le regard d'un Isma qui a très bien compris que sur ce coup, le chanteur n'interviendrait pas. Il ne sait absolument pas quoi dire, comment se justifier. « Et du coup t'es là pour autre chose que dire des trucs désagréables ou c'était juste pour le plaisir d'interrompre une matinée très sympa ?
– J'suis venu parce que j'ai pas eu de nouvelles de Mallo en sortant du concert, ce qui est assez inhabituel depuis que tu lui as brisé le coeur il y a quinze jours, réplique aussitôt un Oliver qui n'en a visiblement rien à foutre de savoir que le concerné est là et entend tout. Mais bon me voilà rassuré, apparemment t'étais en manque ? » D'accord, donc là il va falloir dire un truc avant que ces deux-là s'écharpent, songe Mallory en écarquillant les yeux, avant de reposer son gobelet de café avec un soupir. « Il se trouve que c'est un peu plus compliqué que ça, en fait.
– Oh ça j'me doute, avec celui-là c'est jamais simple.
– Eh, t'arrêtes deux secondes ? C'est bon, tout va bien, t'as aucune raison de te faire des cheveux blancs.
– Voyez-vous ça, grince un Oliver qui prend appui sur sa canne avec une petite grimace. Et j'peux savoir pour quelle raison j'en aurais plus aucune de m'inquiéter au vu de ces derniers jours ? » Il jette un coup d'oeil à Ismaël, qu'il désigne d'un geste du menton. « T'as déjà prévu le prochain prétexte pour te barrer comme un voleur ou t'as besoin d'un coup de main ? »

« J'suis venu parce que j'ai pas eu de nouvelles de Mallo en sortant du concert, ce qui est assez inhabituel depuis que tu lui as brisé le coeur il y a quinze jours. »
Et du coup ça touche Oliver à quel endroit, ça ? De près, de loin, il a quelque chose à voir avec tout ça ? « Mais bon me voilà rassuré, apparemment t'étais en manque ? » 
Et sur ce coup, heureusement que Mallory réagit, parce que de con côté, Isma montre presque les dents ; d'un geste souple, il s'est redressé et se tient maintenant assis au bord du lit, occupé à foudroyer Oliver du regard. Il va falloir qu'il se calme. « Il se trouve que c'est un peu plus compliqué que ça, en fait.
– Oh ça j'me doute, avec celui-là c'est jamais simple.
– Eh, t'arrêtes deux secondes ? C'est bon, tout va bien, t'as aucune raison de te faire des cheveux blancs.
– Voyez-vous ça.. Et j'peux savoir pour quelle raison j'en aurais plus aucune de m'inquiéter au vu de ces derniers jours ? » 
C'est jamais simple avec celui-là mais elle est pas mal encore celle-là ; franchement on dirait une crise de jalousie, qu'est-ce qui lui arrive à Ollie ? « T'as déjà prévu le prochain prétexte pour te barrer comme un voleur ou t'as besoin d'un coup de main ? 
– T'as vraiment de la chance qu'on soit chez Mallory parce que je t'en aurais décroché une pour beaucoup moins que ça en d'autres circonstances, siffle-t-il en jetant un regard à Mallory qui, justement, ne décroche plus un mot. J'ai pas l'intention de me rebarrer, en fait. On est ensemble. »
Et si le sourire qu'il adresse à Cha est adorable en dépit de sa maladresse, ce n'est absolument pas le cas de celui qu'il distingue du coin de l'oeil sur le visage de son ami, quoique vue son attitude il a l'impression d'avoir de bonnes raison de remettre ça en question. « Oh, tu peux sourire si tu veux, l'avantage c'est que vu le temps qu'il m'a fallu pour envisager ça, Mallo a pas à craindre que j'sois avec quelqu'un d'autre en même temps. J'laisse ça à Neskov. Tu veux pas aller t'occuper de son mariage à lui plutôt que de venir nous faire chier nous ? »

« T'as vraiment de la chance qu'on soit chez Mallory parce que je t'en aurais décroché une pour beaucoup moins que ça en d'autres circonstances. » D'accord donc s'il y avait peut être une toute petite chance pour que Mallory pense que les choses auraient pu s'arranger vite, là c'est clairement mort, songe-t-il en pinçant les lèvres sans oser dire le moindre mot au risque de mettre encore plus le feu aux poudres. Il taperait quand même pas sur un mec avec une canne, si ? Et puis c'est son ex, d'après ce qu'il avait compris ils avaient gardé des rapports plus ou moins cordiaux ou c'est lui qui ne comprend plus rien ? « J'ai pas l'intention de me rebarrer, en fait. On est ensemble. » Il est un peu tordu par une gêne très infantile, ce sourire qu'il lui adresse Ismaël et Mallory y aurait volontiers répondu si son amant n'avait pas tourné la tête très vite ; oui, bien sûr que ça le touche, et à vrai dire le jeune homme n'aurait pas pensé qu'Isma assumerait cet état de fait aussi vite auprès des autres. Sauf qu'il n'a pas vraiment le temps de hocher la tête pour confirmer et tourner un sourire tout joyeux vers Oliver ; celui de ce dernier est beaucoup trop narquois pour qu'il y croie.

Et ce sourire, il ne plait visiblement pas du tout au Johtien. « Oh, tu peux sourire si tu veux, l'avantage c'est que vu le temps qu'il m'a fallu pour envisager ça, Mallo a pas à craindre que j'sois avec quelqu'un d'autre en même temps. J'laisse ça à Neskov. Tu veux pas aller t'occuper de son mariage à lui plutôt que de venir nous faire chier nous ?
– Peut-être bien que c'est toi qui as du bol que j'sois obligé de marcher avec une canne maintenant, gronde un Oliver qui perd aussitôt son sourire.
– Oh, on peut redescendre en pression deux secondes là ? » Il soupire, Mallory, et attrape un caleçon ; c'était pas du tout la matinée qu'il prévoyait, en fait. On en est même assez loin. « C'est bon Ollie, ça s'est arrangé, on a discuté, et...
– Et quoi ? ça fait des semaines que je l'entends ta putain de chanson ça s'est arrangé, change de disque au bout d'un moment.
– Ça te regarde pas.
– En fait si, ça commence à me regarder à partir du moment où tu débarques chez moi à trois heures du matin parce que tu rentres de chez ce crétin qu'a pas été foutu d'écouter un certain nombre de choses te concernant. » Ouais, son point de vue est défendable bien sûr, mais là... Isma a l'air vraiment énervé et lui, il ne sait absolument pas où se placer.

« T'es sûr de c'que tu fais, toi ? invective-t-il finalement Ismaël en fronçant les sourcils. T'as réfléchi, pesé le pour et le contre, mesuré les risques ou t'as encore foncé tête baissée ? » Ouais bon ça va il n'est pas non plus atteint d'un cancer en phase terminale hein ?

« Peut-être bien que c'est toi qui as du bol que j'sois obligé de marcher avec une canne maintenant, réplique Oliver, sous le rire méprisant du baroudeur ; il aurait fait quoi, hein, il l'aurait fâché ?
– Oh, on peut redescendre en pression deux secondes là ? »
Oh mais il était très calme lui avant que ce couillon débarque pour foutre une ambiance de merde ; la prochaine fois il restera avec son mec adultère et il se mêlera de son cul, ça va bien. Alors que son amant s'habille, Isma est mortellement immobile, fixant furieusement le jeune homme qui leur fait face. « C'est bon Ollie, ça s'est arrangé, on a discuté, et...
– Et quoi ? ça fait des semaines que je l'entends ta putain de chanson ça s'est arrangé, change de disque au bout d'un moment.
– Ça te regarde pas.
– En fait si, ça commence à me regarder à partir du moment où tu débarques chez moi à trois heures du matin parce que tu rentres de chez ce crétin qu'a pas été foutu d'écouter un certain nombre de choses te concernant. »
Oh, et il est dans sa tête pour savoir ça ? Pourquoi ils sont pas ensemble tous les deux si Oliver est à ce point soucieux du bien-être du champion ? C'est ridicule et c'est fatiguant. « T'es sûr de c'que tu fais, toi ? aboie le batteur visiblement peu au fait de ce que signifie redescendre en pression. T'as réfléchi, pesé le pour et le contre, mesuré les risques ou t'as encore foncé tête baissée ?
– Oh c'est vrai que question prise de risque en matière de relation t'es bien placé pour donner des conseils, se moque-t-il sans vergogne. Ça va cinq minutes. Cha, j'peux le foutre dehors ? »
Non parce que à poil ou pas à poil Ismaël n'aura aucun mal à le faire ; ça le démange, même, salement. Sauf que son chanteur est apparemment beaucoup plus frileux sur la question ; putain, heureusement qu'ils sont chez Mallory parce que ça se serait très mal passé. « Ah, bah installe-toi Ollie, prends une chouquette, une clope, allez, rit-il encore, jaune, en s'installant à nouveau contre la tête de lit pour étendre ses jambes sur le matelas et tendre un bras derrière la silhouette de Mallory qu'il attire très naturellement contre son flanc. J'suis quasiment sûr qu'on avait prévu de passer la journée au lit mais puisque t'es là, hein. Invite-toi, mets-toi à l'aise ! En attendant, j'ai toujours pas de comptes à te rendre alors si tu veux péter une pile, adresse-toi à quelqu'un qu'en aura quelque chose à foutre. »