Quand il était gosse, il y avait des affiches plein les murs de sa chambre. Des Pokémon d'arènes particulièrement féroces, des Tortanks agressifs, des Trioxhydres effrayants, et leurs champions, tous plus classes les uns que les autres. Loin d'avoir jamais eu envie d'en devenir un, il aurait adoré les affronter ; et dès l'enfance, il avait partagé cette drôle de passion à quelqu'un qui ne l'avait pas tout à fait comprise. Mallory était encore trop petit pour se rendre compte, et il avait des problèmes autrement importants que les Pokémon ; jusqu'à ce qu'on lui donne Vader et qu'il se mette dans la tronche qu'il allait démolir le champion d'arène Spectre. A l'époque il était à Myrtha, caché, harcelé par le régime Weaver ; cela ne l'avait absolument pas arrêté, et il avait entraîné une équipe avec acharnement pour le vaincre. La carrière de dresseur de Mallo s'était lancée tôt là où il n'avait jamais vraiment eu le courage de le suivre.

Le jeune malade avait trop besoin de son soutien pour qu'il parte sur les routes, et peut-être qu'il avait eu un peu peur de tenter l'aventure tout seul, aussi ; l'esprit aventureux d'Oliver ne s'était éveillé qu'à l'adolescence quand il avait rencontré Ismaël et à l'époque, Mallory avait besoin d'aide. Toute sa jeunesse, il l'avait passée à vivre pour les autres, et même ensuite. Quand ils avaient décidé de monter un groupe, qu'Erèbe s'était greffé à la bande, qu'il avait fallu élever Sophie et Geof' et que toute idée de s'en aller s'était évaporée. Ses rêves s'étalaient sur du papier glacé, dans le confort de sa chambre au milieu des repères qu'il avait eu un peu trop peur de quitter. Même maintenant, cette peur le suit ; à l'époque, elle était beaucoup trop grande pour être ignorée. En tout cas, jusqu'à ce qu'il rencontre Vikan.

La première fois qu'Oliver a croisé les grands yeux verts de Gaspar, c'était dans ce bar, à Jaeda. Eux avaient décidé de passer un week-end à la plage et avaient terminé leur petit Samedi sur une note festive, à base de bières à volonté ; ils ne se seraient jamais doutés rencontrer un autre musicien, jusqu'à ce qu'un adolescent de leur âge s'avance jusqu'à une petite estrade, guitare au ventre. Malgré son air clairement apeuré, Oliver se souvient d'avoir été impressionné par autant de témérité ; et d'agilité quand il l'avait entendu jouer, aussi. C'est lui qui a alerté Mallory sur ce garçon, qui l'a forcé à tendre l'oreille. Il a un truc, ouais, a alors dit l'adolescent maigrelet, avant d'attendre la fin de sa petite représentation pour aller lui parler. Oliver se souvient qu'il l'a trouvé beau dès le premier soir, même s'il a fallu des mois pour tomber amoureux de lui.

Pourquoi c'est vers lui que Gaspar s'est tourné au début, il ne le sait pas, il ne peut que le deviner. Mallory avait mauvais caractère, et des gens peu habitués ne pouvaient le supporter que quelques heures avant de péter les plombs ; quand à Erèbe, peut-être était-il un peu trop franc pour un adolescent timoré comme Gaspar, il n'en sait rien. Ça a commencé par quelques discussions banales au sortir des répétitions, un ou deux verres avec le groupe, il s'asseyait toujours à côté de lui. Et puis tout s'est passé vite, d'ami il est devenu un confident, Oliver, puis une paire de bras prête à l'enlacer pour le consoler quand le père Neskov le tapait un peu trop fort. Une oreille, une étreinte, et beaucoup de patience ; il n'a jamais regretté ces moments-là, parce que Gaspar était drôle, gentil, parce que lui aussi rêvait d'une autre vie, parce qu'ils se sont promis un million de fois de partir ensemble. Lentement et sans le voir, Oliver a doucement succombé à la lueur dans ses yeux verts.

Il était gentil, doux, drôle. Combien de nuits ont-ils passé chez Oliver, sans dormir, luttant contre leurs paupières lourdes parce qu'ils avaient beaucoup trop de choses à se dire et pas assez de temps pour ça ? Les yeux rivés vers son plafond, parfois sur ses vieilles affiches abîmées par le temps et le soleil, ils faisaient leurs équipes, se provoquaient alors qu'ils n'avaient pas réalisé une seule capture, vantaient les mérites de leur Tylton ou Goupix, se promettaient de ne jamais se quitter. Leurs mains s'étaient liées si souvent qu'il pouvait presque se souvenir de la chaleur de ses doigts, Oliver. Il était heureux à cet époque, ils étaient heureux tous les deux, et les choses auraient pu durer, sans doute, si le batteur n'en avait pas espéré plus. A cette époque, Gaspar ne pouvait pas lui donner ce qu'il espérait, et il aurait dû le savoir. Il le connaissait. Il n'a même pas pu être surpris quand il a fini par l'abandonner.

Enfin. Pourquoi pense-t-il a tout ça ? C'était même avant Myrtha, toute cette histoire. Plus de dix ans sont passées, et pourtant à chaque fois qu'il se trouve tout seul confronté à sa vie, Gaspar fait partie d'une étrange constante, celle qui fait pencher la balance vers le raté. Peut-être parce qu'il sait que ce moment charnière de sa vie est passé, qu'il a raté, mal fait quelque chose et que maintenant, ce n'est plus réparable, sans doute. A l'époque sa vie aurait pu changer, maintenant c'est sûrement fini ; alors à quoi bon se leurrer ? Être ici ça n'a pas de sens, pas plus qu'avoir capturé ce Nymphali ou rêver d'être un dresseur. Tout seul, il n'y arrivera pas et il n'en a pas envie. Sa santé et son mental ne le permettent pas et parfois, il vaut mieux ranger certains rêves dans un tiroir, et rentrer sagement à la maison. Allumette l'attend.