Prendre la voiture était purement déconseillé, pour se rendre du côté de Halosis ; il a beau revenir tout juste sur Lathea Oliver, il sait très bien que les routes de la forêt ont toujours été pleines de bosses et de nids de poule qui n'auraient absolument pas aidé à récupérer de son mal de hanche. Qui plus est, il a bien envie de profiter de son amplitude horaire pour marcher un bon moment ; c'est donc en train qu'il s'est rendu jusqu'au village, avant de bifurquer vers les sentiers qui s'enfonçaient dans le bois. A ses côtés, glisse tout doucement une Choupette très contente de se promener ; il ne pleut pas aujourd'hui, mais elle en avait marre de rester au studio. A vrai dire, Oliver est presque persuadé que Mallory tape superbement sur les nerfs de la pauvre Mucuscule ; à cet égard, une pause dans la nature est plus que bienvenue. Seul Allumette a refusé de venir, et pour cause. Son coussin a été sorti des cartons, et Oliver sait très bien qu'à son âge, maintenant, ce sont les siestes qu'il préfère aux randonnées. Canne à la main, le jeune homme prend une longue inspiration; puis s'engage sur le chemin, suivant le cours d'un petit torrent qui se jette dans l'oeil de Lathea. Quelque part, et uniquement pour ça, la région lui avait un peu manqué.

C'est sur internet qu'il a trouvé des informations sur la clairière qu'il s'apprête à chercher. Difficile d'accès mais magnifique, elle abriterait l'antre d'un Pokémon chromatique, et si Oliver a tendance à s'en foutre des couleurs des Pokémon, il doit bien admettre que les légendes qui entourent les lieux l'intriguent beaucoup. C'est le pas boitillant mais ferme qu'il s'engage sur le chemin ; Choupette, elle, s'applique à faire des bonds dans le torrent pour en sortir aussitôt dans une série de gargouillements joyeux. S'il était très sceptique le jour où il a reçu ce Pokémon, il admet maintenant avec plaisir qu'il s'est trompé. Choupette, c'est un concentré de gentillesse et de douceur, et même s'il doute très fortement de ses capacités en combat, au moins est-elle une compagnie extrêmement chaleureuse et agréable. Il arrive même à lui pardonner la bave sur ses fringues. Un Lumivole passe doucement au-dessus de l'eau, les observe, et s'en va aussitôt ; il y a effectivement de drôles de petits lutins par ici, il devrait ouvrir l'oeil. Peut-être qu'il est effectivement là, ce Célébi shiny.

Les insectes volent autour de lui, et Oliver profite du silence à peine dérangé par le coulis du torrent pour faire un peu le point. Il est rentré depuis une poignée de jours, et c'est assez perturbant de voir comme il reconnait à la fois tout et rien. Pour Castlerain, c'est normal ; la ville qu'a choisie Mallory pour s'installer est toute récente, noire, laide. A choisir, il aurait presque préféré Nathalia tant l'endroit est impersonnel et froid. Même les parcs créés à l'intérieur du centre ville semblent contrefaits, comme une pâle reproduction de la ville détruite ; qui plus est, les plus hauts immeubles de la capitale laissent voir, par beau temps, les contours de Myrtha. Lorsqu'il a demandé s'il avait le droit de se rendre sur le site de la destruction, on lui a dit que c'était plus que dangereux ; le Système a bouclé la zone, et ce n'est pas pour rien. Avec tous les morts qui ont foulé ces lieux, maintenant, il est tout simplement envahi par des spectres dangereux.

C'est dommage. Quelque part, il aurait bien aimé retourner sur le site de là où il a perdu sa mobilité ; son ancienne maison par exemple, il se demande ce qu'il en reste, maintenant. Sans doute rien de plus que des gravats, et les voir le rendrait sûrement bien plus malheureux que jamais, mais il ne sait pas, c'est peut-être une drôle de fascination morbide. Il s'en souvient, de l'ancienne Myrtha, de la beauté de la ville, de la façon dont tout était agencé pour que les Pokémon et les humains vivent dans une harmonie parfaite, en osmose. Ça faisait très clairement grincer des dents sa mère, qui faisait partie du Système Gaïa déjà à l'époque, et qui réprouvait cette façon qu'ils avaient d'ignorer des traditions séculaires ; aujourd'hui encore et si on l'écoute, elle prétendra toujours que c'est la folie des Weaver qui a précipité la chute de Myrtha, et la mort de tous ces gens. Quelque part, Oliver est un peu d'accord avec elle.

Tout ce qu'il a laissé là-bas lui semble terriblement lointain, et terriblement proche à la fois. La vraie raison pour laquelle il n'avait pas envie de rentrer à Lathea, ça n'a jamais été Myrtha ; il a fait le deuil de sa hanche depuis longtemps, après tout. Il a fallu du temps et il l'a fait, non, ce n'est pas ça. C'est beaucoup plus concret, c'est croiser les affiches de promotion d'un beau blond aux yeux verts un peu partout en ville, savoir qu'il n'aura sans doute pas d'autre choix que de le croiser encore, sans savoir comment il appréhendera la prochaine rencontre. A chaque fois qu'il se souvient du passé, c'est aussi doux qu'amer, ça fait mal autant qu'il ne peut s'empêcher d'y replonger ; les cris, les rires, les fêtes sur la Plage Carapagos, les concerts en plein air, la fatigue de Mallory que les soins prodigués par Vader et Sophie apaisaient, et que le travail de composition aidaient à faire passer. Où est-elle, maintenant, sa jeunesse ? Oliver va bientôt avoir trente ans. Et Oliver a l'impression que tout a changé, sans lui.

Quelque part il devrait être heureux, Oliver. Après tout, c'est vrai, il a absolument tout ce qu'il veut : des amis qu'il aime, une famille qui a survécu à la catastrophe et qui prend soin de lui, presque trop, deux Pokémon pour lui tenir compagnie, de l'argent à ne plus savoir quoi en faire, une renommée, des fans. Il n'aurait jamais cru d'ailleurs, que les clips et les chansons qu'il a produits avec Asylum attireraient autant l'attention, il n'a pas suffisamment d'estime pour lui-même pour croire qu'il aurait pu avoir autant de succès qu'un garçon comme Mallory, par exemple. Il est moins doué, beaucoup moins bon aussi, il gratte un peu sa guitare mais dès lors qu'il quitte sa batterie, il se sent gauche. Et pourtant, tout marche toujours aussi bien pour lui, mieux que bien, même. Alors quoi ? Pourquoi a-t-il l'impression que tout est vide et froid, depuis qu'il est rentré ? Sa bonne humeur, dans quelle autre région l'a-t-il laissée ?

Il n'a pas envie d'y penser aujourd'hui. Le temps est plus que clément, et la lumière s'infiltre sous la voûte des arbres ; il sait qu'il en a pour de longues minutes de marche avant d'atteindre son but, s'il le trouve. Il a pris soin de tout écrire sur une carte, par chance, avant de partir ; quels virages emprunter à quels endroits, et ce serait vraiment fabuleux s'il se découvrait un tout nouveau sens de l'orientation. C'est plutôt cool de croire aux miracles, non ? Tandis que Choupette s'ébat dans l'eau à côté de lui, Oliver observe la faune ; croise un Tournicoton, quelques chenipottes sur les feuilles épaisses des arbres, il aperçoit même un Nidoran filer entre les hautes herbes. Pas de trace de clairière, cependant ; même si quelque chose lui dit qu'il se rapproche. Tant mieux, admirer les lieux lui permettrait au moins de penser à autre chose que ce qu'il appréhende de retrouver, ici.

Alors qu'il se rapproche de l'eau, un étrange son guttural retentit non loin de lui ; il tourne la tête, mais ne voit rien du tout. Lorsque le bruit revient, il tend l'oreille, mais à cet endroit de la forêt, il fait plus sombre ; est-ce que c'est normal ? Il n'en sait rien, il n'est jamais allé par ici, il n'a jamais visité les alentours de Halosis. On lui avait dit que c'était joli pourtant, mais... alors qu'il se tourne pour reprendre le chemin, il sursaute, quand il croise deux yeux étranges dans une branche d'arbre. C'est quoi ça ? Même Choupette s'est mise devant lui, méfiante. Brocélôme, lui dit son Motidex, quand il le sort fébrilement de sa poche pour le demander. Le Pokémon l'observe, observe l'appareil ; il a l'air plus curieux qu'agressif, par chance. La forêt n'est pas vraiment un endroit dangereux, sinon le Système aurait déjà interdit l'accès.

C'est plutôt drôle, songe le jeune homme en haussant un sourcil tandis qu'il tente d'avancer, mais qu'il est arrêté en pleine marche par le Brocélôme qui se place au milieu du chemin. Quoi, il essaie de garder les lieux ? Alors, ça doit vouloir dire qu'il approche, songe-t-il en levant une main devant lui, laissant l'autre porter son poids sur la canne. « Hé, coolos mon grand, j'ai pas l'intention de faire des bêtises, d'accord ? Je veux juste visiter. » Mais il n'a pas le temps d'argumenter d'avantage ; déjà, un autre cri résonne devant, et il écarquille les yeux, Oliver, quand il aperçoit la forme d'un Pokémon plus grand, grâcieux... rose et blanc. Ses yeux sont un peu effrayants, mais son air avenant le convainc sans difficulté qu'il n'a pas du tout l'air de vouloir se battre. Ça il le sait, c'est un Nymphali. Un magnifique Nymphali, et ça veut dire que la clairière n'est pas loin.

Durant quelques secondes, Oliver prend le temps d'observer la créature. Les hautes oreilles du Nymphali sont ornées de rubans ondulant sous l'emprise d'une brise invisible ; ses yeux, qui lui semblaient vides au premier abord, ont maintenant l'air emplis d'une intelligence ancienne, profonde. Depuis quand est-il là, ce Pokémon ? Des mois, des années ? Comment a-t-il évolué ? Il n'en sait rien, mais il est fasciné, Oliver. C'est un drôle d'instinct qui prend le dessus quand, dans un petit cri chatoyant, le Nymphali s'éloigne pour s'enfoncer dans les bois, loin du chemin. « Hé, attends ! s'exclame-t-il, parce qu'il n'a pas du tout l'intention de voir ce Pokémon s'en aller. » Qui sait s'il aura la chance de le revoir un jour, celui-là ? Jamais, sûrement, alors autant ne pas rater l'occasion. Choupette le regarde, gargouille, comme pour l'avertir mais c'est trop tard : il entreprend déjà de dépasser les ronces pour suivre les rubans roses du Nymphali qui lui montre le chemin jusqu'à la Lumiclairière.

Le chemin va être beaucoup plus difficile que prévu. Seuls les étranges cris vespéraux du Nymphali lui permettent de savoir à peu près où il se rend parce que pour le moment, rien n'est garanti. Entre les ronces, les branches basses et les hautes-herbes, Oliver n'a pas la moindre idée de l'endroit où il se rend. La seule chose qu'il voit, c'est de la lumière, au loin, une lumière blanche, et un bruit d'eau bien plus fort que celui du torrent de tout à l'heure. Alors quoi, c'est le gardien ce Nymphali, et il a été choisi ? Non, bien sûr, faut qu'il arrête Ollie, il est pas dans l'un de ces films débiles où les héros sont toujours les élus des Pokémon légendaires même s'ils sont cons comme des pieds de table. Peut-être que ce Pokémon l'aime bien, c'est tout. Ou peut-être qu'il a eu pitié, c'est possible aussi.

« T'es là, Choupette ? » Oui. La Mucuscule suit vaillamment le mouvement, même si elle est un peu plus lente que son dresseur. Elle est beaucoup plus habituée au plat, sa petite boule de bave, et elle n'a pas vraiment l'habitude d'aller vite avec un dresseur qui avance à la vitesse approximative d'un escargeaume. Pourtant, cette fois, il n'a pas du tout envie de rater sa cible : il a même une Pokéball dans les mains, c'est dire. Ce Nymphali, il le veut, et il l'aura, songe-t-il tandis que la lumière se rapproche, et qu'il est obligé de plisser les yeux en écartant d'un geste de son bras libre un épais buisson de baies. Et enfin, il la trouve.
La Lumiclairière est telle qu'on la décrit sur le net, songe-t-il en écarquillant légèrement les yeux. Illuminée par le soleil, elle est entourée d'à-pics rocheux crééant un bassin dans lequel l'eau du torrent s'écoule, nourri par une haute cascade, juste en face de lui. Tout est clair, fleuri, tant et si bien que cela lui apparaît comme parfaitement irréel, d'ailleurs. Emerveillé, Oliver s'avance ; au centre, sur un petit promontoire, ce n'est pas un Célébi qu'il trouve, mais le Nymphali de tout à l'heure.