« Pourquoi, parce que tu es si indispensable que j'ai mis ma vie en pause pendant six ans en attendant ton retour ? »
Il savait qu'elle ne le pourrait pas ; prendre des pauses, Eva ne savait déjà pas ce que c'était quand elle avait moitié moins de travail, quand elle avait de l'aide pour s'occuper de toute sa famille. Alors depuis qu'il est parti ? Non, il n'imaginait pas qu'elle s'était enfermée dans un cercueil de verre en attendant qu'il vienne la délivrer d'un baiser d'amour sincère, bien sûr ; les histoires de princesse et de conte de fée ne leur ont jamais correspondu. La seule constante, c'est l'amour éternel ; celui-là est vrai, quoi qu'elle en dise. Silencieux, Jim prend sur lui et allume nerveusement sa cigarette. Il n'avait pas prévu de se battre pour ça, et le combat risque d'être long et difficile. « C'était ce genre de petite histoire que tu te racontais pour pouvoir dormir en taule ? »
Soufflant sa fumée, il adresse un sourire horriblement ironique à la jeune femme. C'est marrant ça, hein ? Ça a l'air de beaucoup l'amuser elle, en tout cas. Est-ce qu'elle a vraiment tourné la page, ou est-ce que c'est ce qu'elle, elle se raconte pour pouvoir dormir dans leur lit toutes les nuits qu'elle ne passe pas à le tromper ? « Mais tu sais, si tu veux te barrer, je t'en prie, Jim, casses-toi. Me menacer ça te servira à rien, pas après six ans. »
La menacer ? Ce n'est pas ce qu'il a fait. Ils ont autant à perdre l'un que l'autre dans cette histoire, mais elle elle ne s'en rend pas compte. Elle n'espérait plus le retrouver, elle doit même avoir du mal à considérer que leur chance de repartir de là où ils s'étaient arrêtés n'est pas réelle. Si elle y croyait seulement un peu, alors elle ne penserait pas n'avoir plus rien à perdre avec lui. « Enfin, au moins ça me fera une histoire marrante à raconter à Deklan quand il arrivera. D'ailleurs il va pas tarder, donc si tu pouvais débarrasser le plancher...
– Tu l'aimes au moins ? demande-t-il, écoeuré, en quittant des yeux la fumée toxique peinant à s'évaporer dans l'atmosphère empoisonné de Nathalia, pour la regarder elle. Ou alors ça te fait juste du bien que ce type te fasse te sentir un peu moins seule ? »

« Tu l'aimes au moins ? » Ah, la voilà la question piège, la question fatidique et qui appelle, tout de même, à une réponse claire. Elle n'est pas vraiment tenue de le faire, Eva, mais ne rien dire serait admettre quelque chose, et elle ne lui fera pas ce plaisir ; il souffre, et c'est bien, parce qu'elle aussi elle a souffert de sa défection et de son départ, elle a souffert au point, effectivement, de ne plus trouver dans aucun bras le réconfort et l'affection qu'elle a ressenti pendant dix ans pour le même homme, même si celui-ci a toujours eu des travers insupportables. « Ou alors ça te fait juste du bien que ce type te fasse te sentir un peu moins seule ? » Est-ce qu'elle l'aime ? C'est une bonne question, et Eva n'a jamais vraiment eu envie de se la poser.

Entre Deklan et elle, les choses sont allées de façon très classique pour une femme esseulée dont le visage figé et crispé témoignait d'une trentaine un peu malheureuse et enfermée. Lui, il souriait de toutes ses dents quand il lui a proposé un verre puis un autre, et tout s'est enchaîné normalement. Lorsqu'elle s'est réveillée dans d'autres draps que les siens le lendemain matin, elle s'est dit que comme pour tous les autres, elle le reverrait peut-être une fois ou deux avant de se lasser. Pourtant ça n'a pas été le cas.
Deklan a très vite su se rendre important, et les verres qu'ils prenaient les, promenades, sont devenus d'immenses et bienfaisantes bulles d'air dans son quotidien en pleine transition. Sa compagnie lui fait du bien, il est gentil avec elle au moins autant qu'elle s'efforce de l'être avec lui en permanence pour ne pas le faire fuir. Cet homme qu'elle a rencontré un boite un soir, et plus tolérant que Jim, sans doute plus mature ; plus disposé à construire quelque chose de solide et de sain. Intelligent, drôle, et surtout, pas prise de tête. Lorsqu'elle est avec lui, elle se sent bien alors que peut-elle en déduire ?

« Oui, répond finalement l'éleveuse, impitoyable, après quelques secondes de silence. Je suis amoureuse de lui. » Et ce n'est pas une phrase à prendre à la légère, il n'y a plus aucun sourire sur le visage d'Eva quand elle le regarde, sérieuse, déterminée à lui faire comprendre qu'elle ne ment pas. « T'as raison sur un point au moins, j'ai eu beaucoup de mal à vivre quoi que ce soit de sérieux après toi, admet-elle, croisant les bras, mais pas cette fois. J'ai pas envie de tout foutre en l'air, et certainement pas pour toi. C'est quelqu'un de bien. » Et de hausser les épaules, pour mieux détourner le regard. « Il me donne tout ce dont j'ai besoin. C'est la première fois depuis longtemps que j'ai vraiment plus besoin de toi dans ma vie. »

Jim sait très bien ce qu'Eva va lui répondre et il sait aussi qu'il ne la croira pas ; poser la question était peut-être purement masochiste, ou bien peut-être qu'il voulait voir avec quel aplomb elle était encore capable de lui mentir. Il n'en sait rien. Peut-être aussi que ce qu'il voulait entendre, c'était ce silence, ces quelques secondes d'hésitation. Se pose-t-elle la question de savoir si elle l'aime ou de lui répondre ou non ? Elle n'a pas le choix : refuser de répondre ce serait confesser une chose qu'elle ne veut pas qu'il sache. Alors elle n'a aucun autre choix que celui de lui mentir. « Oui. »
Jim sourit. Il n'est pas vraiment amusé et pas encore vraiment blessé non-plus - pas plus qu'il ne l'était déjà en tout cas. Pour l'instant, il est simplement satisfait d'avoir eu raison, quand bien même ce ne serait pas très difficile à deviner. « Je suis amoureuse de lui. »
Tant de sérieux pour un brisage de coeur ; tant de calme. Ça ne ressemble pas du tout à Eva, elle essaie peut-être de lui prouver que ça-aussi ça a changé. La pauvre est complètement aveuglée. Si elle avait changé il ne serait plus amoureux d'elle et chacune de leurs entrevues, entre colère et frustration, n'a fait que lui confirmer que rien de ce qu'il ressent n'a été altéré par ces longues années de séparation. « T'as raison sur un point au moins, j'ai eu beaucoup de mal à vivre quoi que ce soit de sérieux après toi, mais pas cette fois. J'ai pas envie de tout foutre en l'air, et certainement pas pour toi. C'est quelqu'un de bien. »
Oh, parce que lui il n'est pas quelqu'un de bien ? Il va falloir trouver un autre argument. Jim ne bronche pas, il attend, l'observe, la scrute. Et se réjouit, enfin, de la voir détourner les yeux. « Il me donne tout ce dont j'ai besoin. C'est la première fois depuis longtemps que j'ai vraiment plus besoin de toi dans ma vie.
– Dans ce cas j'imagine qu'on verra bien combien de temps vous tiendrez, répond-il dans un sourire aigre. »
Le calcul est vite fait : la première fois qu'elle n'a vraiment plus besoin de lui, grâce à ce mec ? Ça fait trois mois que ça dure. Elle a donc eu besoin de lui pendant cinq ans, cinq ans et neuf mois. Et maintenant elle essaie de lui faire croire que l'arrivée providentielle de ce type, trois petits mois avant son retour, l'a sauvée de sa dépendance, de son chagrin ? Nan, il avalera jamais ça. « Juste à titre d'informations, il est au courant que t'es avec lui juste parce qu'il a eu le bon sens de te rencontrer avant que je revienne ? »

« Dans ce cas j'imagine qu'on verra bien combien de temps vous tiendrez. » Il ne la croit pas, bien sûr. Eva aurait dû s'y attendre, ce n'est pas comme si cette discussion tournait en rond depuis de longues minutes, déjà ; elle en vient même à souhaiter que Deklan arrive en avance, pour qu'elle puisse échapper à la sensation qui la prend à la gorge, maintenant, celle d'être emprisonnée contre son gré au bras d'un homme qu'elle n'a pas du tout envie de voir revenir auprès d'elle. Ce n'est pas à lui de décider ni de choisir, mais Jim verra bien, lui aussi, que ses tentatives pour se rassurer sont totalement vaines. Patience, songe-t-elle en se contentant de hocher simplement la tête, pour masquer la colère qui gronde, comme à chaque fois qu'elle a eu le sentiment qu'il l'attachait par les poignets pour qu'elle fasse ce qu'il voulait, comme il le voulait. Jim a toujours eu besoin de tout contrôler. Eva a toujours eu besoin de s'échapper. Comment cela pouvait-il marcher sur le long terme, exactement ?

« Juste à titre d'informations, il est au courant que t'es avec lui juste parce qu'il a eu le bon sens de te rencontrer avant que je revienne ?
– Il sait que t'existes, répond-elle avec une fausse nonchalance, sans décroiser ses bras. Et que t'étais en taule jusqu'à récemment. Il sait aussi que t'es le connard qui m'a brisé le coeur, accessoirement ; donc on va dire qu'il imagine pas vraiment que je m'amuse à te reprendre alors que j'ai trouvé mieux ? » Pourquoi a-t-elle l'impression de se répéter, exactement ? C'est épuisant, bon sang. Elle est déjà en train de regarder le petit chemin qui progresse jusqu'à l'élevage ; dans l'espoir un peu fou que Deklan ou Rox viennent la tirer de cette discussion désagréable. « C'est bien beau de spéculer sur ce que j'aurais fait si t'étais revenu plus tôt sauf que c'est pas ce qui est arrivé. Lâche-moi maintenant, elle rime à rien cette conversation, tu finiras effectivement par te rendre compte que c'est fini quand ça te chantera. » Puis, elle se dirige vers la petite maison au centre de l'élevage ; il faut qu'elle récupère son sac et une veste avant de partir. « Parce que c'est fini, reprend-elle en montant les marches de bois, contrariée d'être encore suivie. Et que c'est pas toi qui décides de ce que j'ai envie de faire de mon cul et de ma vie. »

« Il sait que t'existes. »
C'est déjà bien, suppose Jim ; il doit être intimidé, du coup. « Et que t'étais en taule jusqu'à récemment. Il sait aussi que t'es le connard qui m'a brisé le coeur, accessoirement ; donc on va dire qu'il imagine pas vraiment que je m'amuse à te reprendre alors que j'ai trouvé mieux ? »
Il lève les yeux au ciel ; mais oui, trouvé mieux, qu'elle arrête un peu. C'est impossible, personne n'est mieux que lui pour elle, ils sont faits l'un pour l'autre et l'homme répète tellement cette phrase dans sa tête depuis le début de cette conversation que ça commence à l'agacer. C'est elle qu'il essaie de convaincre mais il a presque l'air d'être en train de se convaincre lui-même et ce n'est absolument pas une idée qu'il apprécie. « C'est bien beau de spéculer sur ce que j'aurais fait si t'étais revenu plus tôt sauf que c'est pas ce qui est arrivé. » Et la faute à qui, hein ? « Lâche-moi maintenant, elle rime à rien cette conversation, tu finiras effectivement par te rendre compte que c'est fini quand ça te chantera. »
Tirant sur sa clope, Jim lui emboîte le pas ; la colère a fini par redescendre, il a conscience qu'il est dans une impasse au moins pour le moment. « Parce que c'est fini. Et que c'est pas toi qui décides de ce que j'ai envie de faire de mon cul et de ma vie.
– De toute façon t'en as toujours fait qu'à ta tête, c'est pas nouveau, répond-il avec un petit rire. C'est qu'un caprice de plus que je laisserai passer parce que j't'aime. Si c'est ce qu'il faut pour que tu te rappelles que t'as jamais été heureuse qu'avec moi, soit. »

« De toute façon t'en as toujours fait qu'à ta tête, c'est pas nouveau. » Oh, pas toujours, et ça n'a pas été faute d'essayer, pourtant. S'arracher à ses exigences, devenir libre, Jim ne s'est jamais vraiment rendu compte que certains combats n'avaient tout simplement pas à être menés. La priver de sortie au prétexte d'une jupe trop courte faisait partie de ces batailles perdues d'avance, songe-t-elle en lui jetant un regard assassin. Qu'il rie si ça l'amuse, c'est lui qui souffrira le plus dans toute cette histoire s'il s'acharne, et ce sera purement mérité. « C'est qu'un caprice de plus que je laisserai passer parce que j't'aime. Si c'est ce qu'il faut pour que tu te rappelles que t'as jamais été heureuse qu'avec moi, soit.
– C'est ça, ricane la jeune femme en passant la porte branlante pour aller chercher ses affaires. Si tu veux, Jim. Qu'est-ce que ça peut me foutre après tout, ça changera rien. » Parce que sa décision est déjà prise, et que si elle lui jette un regard torve en fermant ensuite sa porte d'entrée à clé, c'est uniquement par principe.

Finalement, l'arrivée de Deklan, salvatrice, la sauve de tout nouveau dialogue stérile ; les phares de la voiture noire de son mec apparaissent sur le chemin et comme à son habitude, il se gare directement dans la cour de l'élevage en klaxonnant tranquillement. « Bien, tu m'excuseras ? enchaîne-t-elle alors sans jeter le moindre regard à Jim tandis qu'elle descend les escaliers. Je suis attendue et t'as rien à faire là quand j'y suis pas, donc tu peux t'en aller. » Qu'il s'amuse seulement à aller saluer Deklan ; quelque chose lui dit que ça la ferait rire, songe-t-elle en s'approchant la voiture de laquelle son mec sort, sourire aux lèvres et fleurs à la main. Des roses rouges. Et un sourire un peu incertain aux lèvres, parce que Jim n'est pas parti et qu'il ne comprend pas très bien pourquoi. « Moi qui avais peur d'être en avance... tout va bien ?
– A merveille, répond-elle avec un sourire, crispé lui aussi, barre-toi putain. Je suis contente que tu sois venu en avance. On y va ? »

« C'est ça. Si tu veux, Jim. Qu'est-ce que ça peut me foutre après tout, ça changera rien. »
Qu'elle ricane si elle veut : effectivement, ça changera rien. Il n'a pas l'intention d'abandonner, il fera n'importe quoi. Absolument n'importe quoi. D'aucun appellerait ça de l'acharnement stupide ; lui il appelle ça de l'amour, et il n'y a rien qu'il ne ferait pas au nom de ça.
Il fume tranquillement sa clope en attendant le retour d'Eva, et ne manque donc rien de l'arrivée de la bagnole noire qui se gare sagement dans la cour. Immédiatement, il comprend de qui il s'agit, et jauge immédiatement le véhicule : la marque de luxe ne lui échappe pas, pas plus que la carrosserie rutilante. Cette voiture est récente, quasiment neuve même. Sûrement puissante à en juger par le bruit du moteur, mais beaucoup trop grosse pour quelqu'un qui chercherait la vitesse. Non, ce type a juste quelque chose à compenser. Il en ricane déjà intérieurement. « Bien, tu m'excuseras ? enchaîne alors Eva, qu'il suit automatiquement vers la cour et la bagnole. Je suis attendue et t'as rien à faire là quand j'y suis pas, donc tu peux t'en aller. »
Oh, il va s'en aller oui, il ne tient pas à faire le pied de grue devant chez elle mais avant tout il va jeter un oeil à l'énergumène qui a l'audace de se pointer ici avec un bouquet de fleurs. Des roses rouges, bien sûr. Alors elle n'a vraiment honte de rien, hein ?
Mais c'est seulement quand il arrive à priximité du type qu'il se rend compte d'à quel point, non, elle n'a effectivement honte de rien. Le type est plutôt grand, costaud ; des cheveux châtains clairs et des traits volontaires. Un regard gris, méfiant. Il n'est pas surpris que cet homme ait plu à Eva. Tous les deux se ressemblent étonamment. « Moi qui avais peur d'être en avance... tout va bien ?
– A merveille. Je suis contente que tu sois venu en avance. On y va ?
– Bah pourquoi tu nous présentes pas ? intervient Jim avec un sourire qu'il s'applique à rendre beaucoup plus tranquille que celui d'en face. Puisque monsieur est en avance on doit bien avoir le temps de se saluer. Tu dois être Deklan ?
– C'est ça, lui répond l'homme en le dévisageant, changeant ses roses de mains pour pouvoir saisir la sienne. »
Sa poigne est franche, et se resserre sitôt que Jim lui-même fait semblant de vouloir affermir la sienne. Un habitué des bras de fer ? Ou des affaires, ça revient au même. « Et je suppose que tu es celui dont j'ai entendu parler. James ?
– Presque, répond-il sans se défaire de son sourire, mais sans pouvoir retenir un léger mouvement irrité de la tête.
– John ?
– Jim. »
Il le fait exprès, ce tocard. « Ah ! J'étais pas loin.
– Je suis le compagnon d'Eva, dit-il et avec aplomb s'il vous plaît.
– Oui, celui qui était en prison, je remets, répond l'autre comme s'il n'était pas surpris. Je t'imaginais plus grand.
– Et moi je t'imaginais moins con. »
Il est beaucoup trop tranquille, ce type, beaucoup trop flegmatique, beaucoup trop sûr de lui dans sa façon de le regarder, de se tenir, de sourire à Eva en lui jetant un coup d'oeil furtif. « Nous voilà donc tous les deux terriblement déçus, quelle tragédie.
– Je te le fais pas dire. Sympa, ta caisse. Double cylindre le moteur ? Un teller j'imagine... cinquième génération ?
– Sûrement, répond l'autre en haussant les épaules, mais Jim comprend à son regard qu'il a très bien compris sa démarche. Ou sixième peut-être...
– Ils ont fini par la sortir ? T'es un connaisseur à l'évidence... sourit-il, sûr de sa supériorité. J'me demande à quoi ça sert d'acheter une voiture pareille si tu ne sais rien en apprécier. Quelque chose à compenser, peut-être ? »
Ah, enfin ; voilà le regard gris qui s'allume d'un éclat un peu différent, énervé sûrement. Pas amusé en tout cas et beaucoup moins serein. Bien sûr, Jim ne manque rien de l'exaspération d'Eva ; et Deklan non-plus, apparemment, puisqu'il soupire et se contente de secouer la tête là où il mourrait apparemment d'envie de lui coller son poing dans la figure. Et rien dans le ventre, avec ça. « J'ai toujours pensé que t'étais courageuse, dit-il à Eva en lui adressant un sourire plus doux, mais toujours franchement crispé. Maintenant j'en ai la preuve. On y va ?
– C'est triste, quand même, réplique-t-il en ricanant. Quitte à te trouver un mec qui me ressemble t'aurais pu en trouver un avec des couilles. »

« Bah pourquoi tu nous présentes pas ? » C'est pas vrai, il a vraiment l'intention de foutre la merde comme ça ? Eva aurait dû s'en douter, bien entendu, mais elle ne s'imaginait pas que Jim serait capable de pousser le vice jusqu'à aller l'attaquer comme ça, chez elle, et devant un Deklan qui commence tout doucement à comprendre ce qui lui arrive. « Puisque monsieur est en avance on doit bien avoir le temps de se saluer. Tu dois être Deklan ?
– C'est ça. » Les deux mains qui se serrent ressemblent à un bras de fer et si Eva pince les lèvres de contrariété, c'est absolument tout ce qu'elle peut faire. Elle n'est absolument pas en mesure de se mettre en colère ou d'intervenir à moins d'empirer les choses, et dans la mesure où cela fait trois mois qu'elle tente de montrer patte blanche à son mec, se mettre à hurler sur Jim serait contre-productif sur tous les points. De toute manière, Deklan a l'air de savoir parfaitement se débrouiller sans son concours.


« Et je suppose que tu es celui dont j'ai entendu parler. James ?
– Presque.
– John ?
– Jim.
– Ah ! J'étais pas loin. » A tous les coups, Deklan l'a fait exprès. Ce n'est pas la première fois qu'il entend le nom de Jim, Eva s'est toujours appliquée à être honnête et elle le lui a dit, le jour où il est revenu. Vu comment elle faisait la gueule au moment de partir au restaurant de toute manière, il a bien fallu fournir un certain nombre de réponses. « Je suis le compagnon d'Eva. » Putain, fulmine l'intéressée, t'as un de ces culots, bordel.

« Oui, celui qui était en prison, je remets. Je t'imaginais plus grand.
– Et moi je t'imaginais moins con. » Et il lui sourit, Deklan ; visiblement, les attaques de Jim lui passent très loin au-dessus. Est-ce qu'il est habitué à ça ? « Nous voilà donc tous les deux terriblement déçus, quelle tragédie.
– Je te le fais pas dire. Sympa, ta caisse. Double cylindre le moteur ? Un teller j'imagine... cinquième génération ?
– Sûrement. Ou sixième peut-être...
– Ils ont fini par la sortir ? T'es un connaisseur à l'évidence...  J'me demande à quoi ça sert d'acheter une voiture pareille si tu ne sais rien en apprécier. Quelque chose à compenser, peut-être ? » Cette fois, c'est la virilité qui est directement touchée et quelque chose change dans l'attitude tranquille de Deklan ; s'il reste calme et n'esquisse pas le moindre mouvement, quoi qu'à sa place, Jim aurait déjà pris une bonne claque, il semble se raidir sous l'insulte à peine dissimulée de son ex fiancé qui lui, semble tout à fait fier de son petit trait d'esprit. Il faut qu'ils s'en aillent, ça ne sert absolument à rien, tout ça. « J'ai toujours pensé que t'étais courageuse, dit finalement l'homme en se tournant vers elle, pour lui adresser un sourire affectueux quoi que très tendu. Maintenant j'en ai la preuve. On y va ?
– C'est triste, quand même. Quitte à te trouver un mec qui me ressemble t'aurais pu en trouver un avec des couilles. »

Elle va exploser. Elle le sent, Jim a toujours beaucoup trop bien su l'énerver, et quand elle tourne furieusement la tête vers lui, Eva sait que ce n'est pas une bonne idée, qu'elle devrait juste se détourner, l'ignorer et partir, qu'il souffrirait bien plus de cette manière mais bordel, il l'énerve. « Et qu'est-ce que ça change exactement, pour toi ? Dans tous les cas c'est pas toi qui tiens cette place et emmerder la terre entière à cause de ça, ça changera rien. Va te faire foutre, putain. » C'est quand même incroyable d'être aussi insupportable, bon sang. « On se casse, d'accord ? Et tu ferais mieux de te tirer aussi, ça vaudra mieux pour tout le monde. J'ai entendu bien assez de tes conneries pour aujourd'hui. » Enfin, saisissant doucement le bouquet de fleurs de Deklan, elle soupire, s'efforce de se calmer. « Merci beaucoup, et désolée pour ça. On y va, de toute façon tu le recroiseras pas. » Et ça, c'est aussi bien une promesse pour Deklan qu'une menace qu'elle balance à Jim d'un regard haineux, avant de contourner la voiture pour atteindre la portière passager. Disparais de ma vie.