C'est un matin comme un autre, aujourd'hui. Un matin de semaine, durant lequel il faut veiller à ce que tout le monde mange, à ce que tout le monde se prépare. « Eden... » gronde une grande soeur exaspérée au petit garçon de six ans assis sur son lit, qui la regarde piteusement en tordant ses petits doigts l'un contre l'autre. « Qu'est-ce qu'on a dit ? Les mêmes chaussettes pour aller à l'école, c'est plus sérieux.
– Mais c'est joli, bleu et vert... » Très joli, oui, le souci c'est que les enfants se moquent de lui, on le lui a rapporté. Et cela, en dépit des efforts d'Isa pour protéger son jumeau... où est Isa, d'ailleurs ? « Isaïah ! s'écrie l'aînée en levant la tête vers la sortie de la chambre, alerte, soudain. Tu as pris ta douche ?!
– J'peux pas, Isma il veut pas sortir ! »

Un juron s'échappe d'entre ses dents, sous le regard un peu étonné de son tout petit frère ; elle lève les yeux au ciel Eva, passe une main dans les cheveux bruns d'un Eden qui entreprend d'enlever ses chaussettes. « Deux bleues ou deux vertes. Tu mettras celles que tu veux ce week-end, d'accord ?
– D'accord. Tu as mis le goûter dans le cartable ? » Oui, bien sûr qu'elle l'a mis, songe la jeune femme en embrassant affectueusement sa joue. Heureusement que Jim vient la chercher à midi. Ils vont aller attraper des Pokémon, cela l'aidera à s'éloigner un peu de ce genre de responsabilités. « Oui mon coeur, j'y ai pensé. Allez, finis de t'habiller et va manger tes céréales. » Et de se redresser pour quitter la chambre d'enfant, direction le couloir, où une petite foule est entassée. Quand les parents sont au travail, les Rattata dansent, songe Eva en jouant des épaules pour dépasser Lazuli, encore échevelée, et Soan qui grommelle de tout son saoul. Dans la salle de bains, on entend encore le bruit de la douche quand elle tambourine à la porte à côté d'un Isaïah qui tape furieusement du pied.

« Bon, tu sors bordel ?! » s'écrie-t-elle en direction de la porte, pour obliger son adolescent de frère à arrêter de faire la sourde oreille. « On a dit quoi avec l'eau chaude Isma ?
– C'est bon ! J'ai dit cinq minutes c'est quand même pas.
– T'es pas tout seul alors tu sors, merde !
– Ooooh elle a dit un gros mot... » Oui, bien sûr que ça lui échappe, mais Isa n'en dit pas plus quand il croise un regard sévère, qui lui fait aussitôt fermer la bouche. Une tape sur l'épaule lui fait faire un petit signe de main ; deux secondes, chaque chose en son temps. « Hé, dis lui que j'attends juste mon sèche-cheveux, il abuse un peu là !
– JE SAIS. Je peux pas tout faire, BON ISMA TU SORS OUI ?!
– Ouais c'est bon ! Putain la reloue...
– Et surveille ton langage bordel on est pas chez les sauvages ! Laz' a besoin de son sèche-cheveux alors grouille ! » Si ça continue, les petits vont être en retard pour l'école. Soan se débrouille tout seul depuis le temps, mais ça ne l'empêche pas de la suivre dans le couloir quand elle fait demi-tour, direction la cuisine.

« Y'a plus de brioche. » Et merde. C'est ça qu'elle a oublié aux courses, la veille. « Il reste du pain, t'as qu'à prendre ça pour ce matin.
– Tu rigoles ou quoi ?
– J'ai l'air ? Tu vois pas que j'ai pas le temps là, si t'es pas content prends dans le bocal et va chercher ce qu'il te faut à la boulangerie. EDEN ! » Pourquoi il n'est pas encore devant son bol de céréales, bon sang ? Eva fait demi-tour, surprend une scène qui crispe aussitôt ses mains, dans le couloir. « Isma, ça va pas ou quoi de sortir à poil devant tes frères et soeurs là tu te crois où ?!
– Oh mais c'est bon on est tous foutus pareil...
– Va mettre un calebut et arrête de me prendre la tête. » Bon, et Eden ? La porte de la salle de bains claque ; c'est bon, Isa est à la douche.

« Eva, t'as pas vu mon top rose ? » Elle cherche partout, et réfléchit Eva, tout en regardant dans la chambre du petit, toujours assis sur son lit. « Ben alors, qu'est-ce que tu fais toi ?
– Je voulais les chaussettes Pikachu mais je crois que je les ai perdues.
– Eva, mon top rose ?! » Qu'est-ce qu'elle en a fait, de ce top ? Elle l'a vu passer à la lessive, mais quand ? Oh merde, ce matin, quand elle s'est levée. « Il est au sale.
– Oh mais non ! Comment je vais faire moi ?
– Mets le bleu pour aujourd'hui, j'étends la lessive en fin de matinée tu l'auras demain. Eden, mets des chaussettes au hasard, on s'en fiche du moment qu'elles sont de la même couleur.
– Mais Mathis à l'école il voulait voir les Pikachu... » Elle ne se rappelle même pas de ces chaussettes, bon sang. La tête d'un autre gamin apparaît dans le couloir, et elle soupire, déjà épuisée à huit heures à peine. « Et la confiture de baies Oran, elle est où ?!
– Dans le placard Soan, regarde derrière le sucre glace je l'ai rangée là hier quand tu t'es barré sans débarrasser.
– T'es pas obligée d'être désagréable. » Oh bah oui, allons-y. Elle lève les yeux au ciel, attrape les petites mains d'un Eden tout penaud. « Je vais retrouver tes chaussettes, d'accord ? Demain. Là tu vas être en retard, prends les bleues, allez.
– Eva ! T'as pas vu Flam passer ?! » Non, elle n'a pas vu le Héricendre, il se trouve qu'elle avait autre chose à faire, songe l'aînée sans répondre, se contentant de soupirer en observant son tout petit frère enfiler enfin une paire de chaussettes avant d'attraper sa  main pour l'entraîner dans la cuisine. « Isa, dépêche-toi avec la douche ! s'écrie-t-elle en passant devant la porte fermée. »

« Il revient quand Jim ? » Demande une adorable petite bouille, qui essuie une trace de lait autour de sa bouche. Enfin installée avec le deuxième café de la journée, Eva hausse les épaules. « Il a dit qu'il viendrait voir tout le monde demain soir. Allez, finis vite tes céréales.
– J'ai fini la douche ! Je trouve pas mon t-shirt...
– Il est sur la table à repasser. Dépêche-toi Isaïah, on part dans un quart d'heure, ton verre de jus est sur la table.
– Et mon croissant aussi ? demande le petit qui coince sa tête dans l'encolure du t-shirt, obligeant la jeune femme à se lever pour tirer dessus.
– Oui. C'est bon tu es prêt ?
– Oui, je...
– Attendez, c'était quoi ça ? »


Elle l'a entendu aussi, le grondement venu de dehors ; tout le monde l'a entendu, et le silence se fait soudain, dans l'étroite cuisine de la maison familiale. Surprise, Eva lève la tête, direction la fenêtre. « Oh, ça doit être rien, sûrement un avion qui... » Mais les avions ne font pas trembler la terre. Elle ne termine pas sa phrase que la brique de jus de baie est renversée, ainsi qu'un bol à moitié vide de céréales et la bouteille de lait qui se répand sur le sol. Est-ce un instinct ou autre chose qui alerte Eva quand elle file en courant vers la fenêtre, elle n'en sait rien ; Mais au loin, derrière les buildings du centre ville, il y a de la fumée, beaucoup de fumée. Ce n'est que lorsqu'un éclair rouge apparait dans le ciel qu'elle sursaute, en même temps que sa petite famille qui regardait aussi ; reculant d'un bond de la fenêtre, ses grands yeux émeraude sont chargés de panique quand elle les pose sur l'attablée. « C'est pas normal, balbutie-t-elle, les yeux chargés de peur quand un autre éclair zèbre le plafond d'une lueur écarlate, suivie d'un autre tremblement. Prenez vos affaires, il faut sortir de la maison. » Tous obéissent, se lèvent d'un bond ; Soan et Lazuli attrapent sac et chaussures, Isma se saisit du petit Héricendre qu'il vient de retrouver, cherche sa veste des yeux. Isa reste à côté d'elle, et...

Un autre tremblement, beaucoup plus fort cette fois, fait chuter les photos de famille du mur, fait sauter l'électricité. Un cri de peur retentit contre sa jambe, et lorsqu'elle lève de nouveau la tête vers l'extérieur, elle comprend que la maison d'à côté est en train de s'effondrer. Il y a des hurlements dehors, mais rester ici... BRAOUM ! « DEHORS ! hurle-t-elle alors, les yeux chargés de panique, à ceux qui sont près de la porte. Isa, va avec Lazuli, vite ! » Eden, où est-il ?! Elle voit tous les autres mais pas le plus jeune et quand la porte d'entrée s'ouvre sous l'impulsion d'Ismaël, le bruit dehors est aussi horrible qu'assourdissant. La ville est en train de s'effondrer, c'est l'apocalypse. « Mon sac ! » Entend-elle au bout du couloir, et elle court Eva, pour retrouver l'enfant qui est dans sa chambre, tremblant de peur quand elle lui saisit brutalement la main. « On a pas le temps ! Viens vite dépêche toi... » elle s'essouffle, les cris résonnent de partout, elle voit à peine devant elle maintenant et les craquelures aux murs témoignent de ce qu'il va se passer s'ils ne se dépêchent pas.

Elle tire sur cette petite main, elle tire de toutes ses forces, elle tire et galope à travers le couloir jusqu'à la cuisine quand soudain, le contact disparaît ; elle ne s'en rend pas compte tout de suite, gagnée par la peur, que c'est l'anse d'un sac à dos qu'elle tient maintenant quand elle se rue dehors juste avant que les murs s'effondrent dans un  bruit qui lui fera faire des cauchemars pendant des années, ensuite. Dehors dans la rue, c'est la débandade ; au milieu de ce qui était un quartier tranquille et résidentiel, il n'y a plus que des maisons effondrées, de la poussière, des gens gris qui crient, courent, appellent à l'aide. Elle reconnait sa famille sur le trottoir un peu plus loin et elle ne comprend pas ce qu'il se passe Eva, quand elle les rejoint en courant, se précipite dans leurs bras, brièvement. « Tout le monde va bien ? » demande-t-elle, sous le choc, tremblant des pieds à la tête. Lazuli, Soan, Ismaël, Isaïah, ils sont là, poussiéreux mais en vie, et quand elle s'apprête à pousser un long soupir de soulagement, c'est finalement plusieurs paires d'yeux écarquillés qui lui font comprendre qu'il y a un problème. « Eden... Eden, il est où ?! » Comment ça ? Eva tourne la tête, sa main est toujours serrées sur... sur la poignée d'un cartable. Mais Eden n'est pas là.

L'horreur s'insinue en elle au moins autant que chez tous les autres quand elle pose enfin les yeux vers là où se trouvait, une poignée de minutes auparavant, la maison familiale. Il n'y a plus rien, le toit s'est effondré, plus un seul mur ne tient debout. Elle ne voit que du parpaing effondré par-dessus quelques meubles dont elle n'aperçoit rien, et elle sait, alors. S'il est resté là-dedans... « EDEN ! » hurle-t-elle en se précipitant en courant vers les décombres, cherchant une petite silhouette fragile et sanglotante, qu'elle ne trouve pas. Chaque seconde est un calvaire, les autres appellent, implorent, mais ne trouvent aucune réponse. « NON ! Non non c'est pas possible NON EDEN, EDEN... » Elle voit à peine Isma se jeter en avant alors que les grondements reprennent, se jeter sur les pierres écroulées pour les déblayer le plus vite possible à s'en abîmer les mains tandis que Lazuli tient contre elle un Isaïah pleurant toutes les larmes de son corps, à côté d'un Soan incapable de bouger, les yeux écarquillés. C'est fini. C'est pas possible, c'est un cauchemar. Mais c'est fini.

Plus tard elle sera bien incapable d'expliquer comment elle est parvenue, en dépit du choc, de l'horreur et de l'incompréhension, à faire le trajet qui la séparait de son jeune frère pour attraper son épaule. Peut-être la précipitation, le bruit, l'instinct, elle n'en sait rien. Il ne le trouvera pas. Ils doivent partir. « Isma, recule, recule...
– NON ! Il est là-dessous, il faut, il faut le, Eva, EDEN REPONDS MOI !
– IL FAUT QU'ON PARTE ! » hurle-t-elle, des sanglots de terreur plein la voix alors que les lumières semblent se rapprocher, qu'une foule massée se rue vers le sud de l'avenue pour s'éloigner au plus vite de ce qui arrive. « SOAN, VIENS M'AIDER... »

La suite, elle ne sait pas, elle ne sait plus. C'était une matinée normale, au sein de la maison Esperanza ; et pourtant à midi, alors qu'il ne reste plus rien de Myrtha et que les secours parquent les gens comme du bétail, alors qu'ils sont là, tous les cinq, à pleurer la disparition d'un petit garçon de six ans tout en espérant qu'il soit retrouvé, leur vie vient de s'effondrer. Plus rien ne sera jamais pareil. Et ça, Eva le sait, quand assise au sol, la tête entre les mains, elle entend le hurlement de douleur de sa mère qui apprend pour le plus jeune, le plus fragile et le plus doux de ses fils. Plus rien ne sera jamais pareil.

Ce que j'aime ce personnage c'était de la fiche express en plus j'ai même pas eu le temps de passer te dire bonjour Tu sais déjà ce que je pense d'Eva, bien sûr ta fiche est nickelle, et cette histoire mais tu veux nous tuer ou quoi ? J'ai super hâte de voir ce que vont donner les Esperanza tous ensemble, manque plus que Soan et Lazuli et le forum explose Tout est parfait, Eva est parfaite, tu es parfaite, rebienvenue à la zonmai