« Arrête. Vraiment, arrête. »
Arrête quoi ? C'était une vraie question, en fait. Si Oliver n'a pas envie de le voir, autant qu'il reparte ; au pire il lui laisse Drogon en vacances pendant une journée et puis basta, ça se règle. « Pourquoi tu veux me revoir ? Pourquoi tu y tiens à ce point ? »
Gaspar n'a absolument aucune envie d'être confronté à ce sujet ; qu'est-ce qu'il y a à dire de plus ? S'il dit autre chose, ça va lui retomber dessus ; rien de ce qu'il pense et ressent ne sera légitime aux yeux d'Oliver. C'est inutile, et c'est exactement la raison pour laquelle le chanteur refuse de relever la tête en dépit du regard qu'il sent posé sur lui. « Tu t'es passé de moi pendant dix ans, alors pourquoi ça t'atteint comme ça, hein ? »
Il ne répond pas tout de suite, les yeux fixés sur un point quelque part dans les ronces. Est-ce que c'est un Nidoran qu'il voit là-bas ? Dis donc, c'est intéressant ça. « J'pensais que je te reverrais jamais, lâche-t-il alors de but en blanc. Tu m'as manqué. »
Il pince les lèvres, et relève la tête, croisant enfin le regard du jeune homme qui le fixe attentivement. « Je sais déjà ce que tu vas dire. C'est pas la peine. Maintenant la question c'est... tu veux que je reste, ou pas ? »
Sinon, il s'en va, et Oliver trouvera un autre moyen de calmer sa Salamèche la prochaine fois parce qu'il n'est pas masochiste, non-plus. Se sentir indésirable de cette façon, auprès de celui qui lui a permis de se ressentir vivant pour la première fois depuis dix ans, c'est bien plus qu'il ne peut en supporter.

Il y a un silence, qui précède sa question ; pourtant elle est importante, il a besoin de savoir pourquoi, besoin de comprendre pour quelle obscure raison Gaspar s'est mis en tête de le retrouver. Par nostalgie ? Parce que sa petite vie ne lui plait pas ? Parce qu'il s'est rendu compte qu'il a fait une connerie, mais que c'est beaucoup trop tard pour faire demi-tour ? Il ne sait pas. Il n'a pas envie de savoir. Les regrets, il n'a pas envie de se les prendre dans la gueule, c'est trop tard. C'est beaucoup trop tard. « J'pensais que je te reverrais jamais. Tu m'as manqué. » Toi aussi tu m'as manqué, espèce de grand con, pendant dix ans tu m'as manqué. Il y avait toujours quelque chose qui le ramenait à lui, toujours un mot, une phrase, une attitude, par chance les lieux ne lui disaient rien et lui permettaient de ne pas voir son visage partout où il regardait ; les derniers mois qui avaient précédé Myrtha avaient été les pires pour lui, dormir dans sa chambre relevait de la torture pure et simple. C'était de la souffrance, brute, vraie, et à chaque fois qu'il repensait à l'étreinte délicate de ses doigts dans les siens, les larmes roulaient sur ses joues creusées par l'épuisement sans qu'il soit capable de les réfréner. Oui, il lui avait manqué. Son absence, cruelle, avait rongé son coeur et sa nécrose avait empêché à quiconque d'y pénétrer suffisamment loin pour le guérir. Maintenant qu'il est là, c'est pire, parce qu'il ne peut que voir qu'il lui manque encore.

Et c'est bien pire encore quand il croise ses yeux verts, et qu'il y voit, en miroir, ce même chagrin qu'il a dû porter seul pendant dix ans. « Je sais déjà ce que tu vas dire. C'est pas la peine. Maintenant la question c'est... tu veux que je reste, ou pas ? » Il devrait lui dire non. Gentiment, il devrait lui dire que ça ne sert à rien, que c'est juste se faire du mal inutilement, qu'ils vont se faire beaucoup de mal tous les deux, que de penser à lui, à Sacha, ça le rend tout simplement fou. Qu'il vaudrait mieux arrêter les frais, que dix ans c'était trop pour avoir l'occasion de redevenir de simples amis. Ce baiser, la dernière fois, ne peut que le prouver, parce qu'il a eu beau l'imposer, il a senti et compris que Gaspar n'avait rien oublié. Alors, il soupire, Oliver. Il glisse une main dans ses cheveux, puis relève le nez. « Tu sais bien que j'vais pas te demander de partir, articule-t-il, finalement. J'ai jamais été capable de te refuser quoi que ce soit, c'est pas maintenant que ça va commencer. » Même s'il aurait vraiment aimé que Gaspar l'épargne ; tant pis, hein ?

La marche reprend, et Oliver allume une cigarette, peut-être un peu nerveusement. Et maintenant, il dit quoi ? Il fait quoi ? Trouver un sujet de conversation ne lui vient pas ; ce n'est qu'un grondement qui lui fait lever le nez, qu'il avait gardé résolument baissé vers le sol. « Eh, c'est pas le bruit d'une cascade, ça ? »

« Tu sais bien que j'vais pas te demander de partir, lâche Oliver après un silence qui a semblé durer une éternité. J'ai jamais été capable de te refuser quoi que ce soit, c'est pas maintenant que ça va commencer. »
Alors qu'est-ce que ça veut dire, qu'il va bien vouloir venir avec lui à l'aventure comme c'était prévu, de temps en temps, histoire de ne pas totalement renoncer à cette moitié de rêve qu'ils peuvent encore atteindre ? Ou juste que puisqu'il n'est pas capable de lui dire non alors il va lui dire oui pour cet après-midi, quand bien même Gaspar n'aurait rien demandé, mais qu'il ne le reverra plus ensuite ?
Le chanteur est beaucoup trop perdu, il a trop de questions et puisqu'il n'a pas non-plus envie de passer pour le dernier des cons, il ne va pas demander. Il verra bien. Les deux hommes reprennent leur chemin en silence, et d'un geste aussi automatique pour l'un que pour l'autre, s'allument une cigarette. Les deux Salamèche marchent en silence près d'eux, serrés l'un contre l'autre. Silver continue de barboter gaiement avec Choupette. C'est exactement comme s'il ne s'était rien passé sauf que toute bonne humeur a définitivement déserté son esprit. La seule chose dont il a envie, maintenant, c'est de soupirer et soupirer encore en priant pour qu'Oliver ait pitié et vienne le prendre dans ses bras. Autant dire que c'est un mauvais plan.

Et puis soudain, Oliver s'arrête. « Eh, c'est pas le bruit d'une cascade, ça ?
– Ah, c'est ça qu'on entend depuis cinq minutes ? J'savais pas d'où ça venait, répond-il d'une petite voix en relevant la tête qu'il avait baissée pour regarder ses chaussures. Ça doit être par là-bas. »
Parce que l'entrée de la clairière est derrière la cascade, c'est ça ? Il croit se souvenir, mais il n'est pas sûr ; c'est le fait qu'Oliver ne le contredise pas qui le convainc qu'il a raison, alors il avance en s'efforçant de ne pas traîner les pieds malgré l'énorme sac qui commence vraiment à lui faire mal aux épaules. Et effectivement, il y a bien une cascade qui tombe dans un petit étang ; un espèce de chemin en suit le bord pour aller sous la chute d'eau et... c'est tout. « Hinhin, dit-il, perplexe. C'est intéressant de construire un truc qui va assez loin pour qu'on puisse prendre sa douche sous la cascade mais... j'vois pas trop l'intérêt. Elle est où l'entrée, du coup ? »

« Ah, c'est ça qu'on entend depuis cinq minutes ? J'savais pas d'où ça venait. » Ça, ça doit vouloir dire qu'ils ne sont plus très loin. La cascade, c'est l'entrée de la clairière cachée, et elle a été plutôt galère à trouver ; ils s'en sont pas trop mal sortis, pourtant, pour voir que ni l'un ni l'autre n'a l'habitude des longues marches dans la forêt. « Ça doit être par là-bas. » Il y a bel et bien une cascade, surplombant un petit étang prolongé par le torrent qu'ils viennent de longer ; Meleys et Drogon froncent leur petit visage, sans oser s'approcher. Leurs deux autres Pokémon en revanche... sont très joyeux dans l'eau, et à mesure qu'ils progressent, c'est un petit chemin qu'ils cherchent, longeant l'étang pour aller... directement sous la cascade.

« Hinhin, c'est intéressant de construire un truc qui va assez loin pour qu'on puisse prendre sa douche sous la cascade mais... j'vois pas trop l'intérêt. Elle est où l'entrée, du coup ?
– Sous la cascade. » Il tourne la tête, Gaspar, et ses yeux verts sont un peu effrayés, soudain ; oui mais, à quoi il s'attendait, au juste ? Le coin des lèvres peut-être un peu retroussé par un sourire qu'il réfrène, Oliver lui désigne le chemin d'un geste de la tête, tout en rappelant Meleys dans sa Pokéball histoire de ne prendre absolument aucun risque. « On va devoir se mouiller un peu, joli coeur. J'ai lu sur internet qu'il fallait passer derrière pour trouver l'entrée. Quoi, c'est ça qui va t'arrêter ? » En tout cas, ça n'a pas l'air de l'enchanter mais tant pis, Oliver avance. « Allez Grand Dresseur, on y va. »

Il faut un peu de temps à Gaspar pour se décider, mais il finit par prendre la suite du batteur, qui progresse jusqu'à la cascade. Derrière, le chemin est trempé ; mais il y a effectivement une petite ouverture entre les rochers, et c'est confiant qu'il baisse la tête pour la douche, rapidement suivi de sa Mucuscule toute contente qui fait des allers retours pour plonger dans l'eau et revenir. De toute manière, il y a aussi de l'eau dans la clairière, donc elle ne risque pas de se déssécher, songe le jeune homme en avançant dans le goulet rocheux, attiré par l'étrange lumière émanant du fond. Curieusement, ça lui rappelle un peu un film qu'il a vu il n'y a pas longtemps, de gamins qui traversaient une armoire pour découvrir un monde magique ; quelque part, ils ne sont pas loin de la vérité, songe le batteur en pénétrant dans la clairière, rapidement suivi d'un Gaspar très curieux.

Comme à son souvenir, le lieu est enchanteur. La lumière qui émane du soleil, filtrée par les feuilles des arbres, trace des points lumineux à l'intérieur de la caverne à ciel ouvert. Il y a de l'eau, de la mousse sous leurs pieds, et les douze statues anciennes semblent dominer le lieu. Au centre, il y a ce promontoire, sur lequel il a vu le Nymphali la dernière fois ; il sourit, Oliver, toute mauvaise humeur envolée, parce que quand il tourne la tête vers Gaspar, c'est un véritable émerveillement qui brûle dans ses yeux clairs. Il en a même la bouche entrouverte, et ce malgré ses vêtements mouillés. « Alors, dit-il gentiment, en arrêtant de bouger. Ça valait complètement le coup, ou pas ? »

« Sous la cascade. »
Pardon ? C'est une blague ? Non parce que si c'est une blague, elle est pas drôle ; déjà qu'il a détruit son brushing à cause du casque de moto, maintenant il faut en plus qu'il passe sous un jet d'eau violent et glacial ? Mais à quoi il va ressembler, après ? Au moins, Oliver a le bon sens de ne pas rire de son désarroi. « On va devoir se mouiller un peu, joli coeur. J'ai lu sur internet qu'il fallait passer derrière pour trouver l'entrée. Quoi, c'est ça qui va t'arrêter ? »
Il a lu sur internet ? Mais il est pas déjà venu ? Gaspar ne comprend plus rien et il se contente de passer une main dans ses cheveux encore à peu près regardables en soupirant. « Allez Grand Dresseur, on y va. »
Oliver s'éloigne, et Gaspar attend sur le bord du ponton, hésitant ; est-ce qu'il ne pourrait pas mettre son sac sur sa tête pour éviter d'être trempé ? Il va essayer, et cette idée le décide finalement à s'avancer ; de toute façon, s'il veut devenir un Grand Dresseur, comme l'a si justement piqué Oliver, il ne va pas se laisser décourager par sa coiffure, ce serait idiot. Bien. Allez. Il y va. Dans une seconde. Non il y va, c'est bon, Oliver va partir sans lui et après il va le perdre alors il y va, c'est bon.

Le sac, était une idée stupide. Avec la pression de l'eau il a failli tomber tout entier dans l'étang ; finalement, ses vêtements sont trempés, ses cheveux le sont aussi, mais seulement d'un côté, et il doit trottiner comme un crétin pour rattraper Oliver dans le couloir rocheux.
Au bout, il y a de la lumière, et plus il s'approche, mieux il parvient à distinguer le paysage qui se dessine de l'autre côté. Il voit des arbres, des feuilles colorées, de hautes touffes d'herbe et des rochers ; l'eau qu'il entend s'écouler doucement a un son mélodieux, étrangement clair, féérique. Il en perd le souffle quand il arrive à l'orée de la clairière. Sa mâchoire pend, ses yeux s'écarquillent. Il pensait qu'ils en faisaient des tonnes sur internet mais... mais non, c'est vraiment magnifique. « Alors. Ça valait complètement le coup, ou pas ? »

Gaspar ne répond pas immédiatement ; il ne peut pas, et préfère à l'inverse s'avancer un peu dans cet endroit qui semble tombé d'une autre planète, tournant la tête à s'en dévisser le cou tellement il essaie de regarder partout à la fois. « Bordel de merde... finit-il par articuler. C'est... c'est tellement... »
Il n'a même pas les mots, et pendant plusieurs minutes il reste simplement planté là, à tourner sur lui-même pour regarder dans tous les coins, les yeux écarquillés d'émerveillement et les lèvres progressivement étirées pour former le plus immense des sourires. Celui-ci ne l'a pas quitté quand, finalement, il repose les yeux sur Oliver. « D'accord, dit-il, finalement, dans le plus simple des rires joyeux. D'accord, je regrette d'avoir hésité à me mouiller. »

Oliver n'a pas eu l'occasion de voir beaucoup de zones sauvages à Lathea, ni ailleurs en fait, ce qui fait qu'il n'a pas énormément de points de comparaison ; mais quelque chose lui dit qu'il aura du mal à voir plus beau que cet endroit-là, et qu'il sera difficile de le détrôner dans le palmarès de ses endroits préférés. Parce que oui, c'est magnifique. Du doux clapotis de l'eau claire du ruisseau à la couleur vert tendre de l'herbe à leurs pieds, en passant par les rochers couverts de mousse et les lueurs irréelles de cet endroit, c'est absolument sublime. Quelque chose lui dit que la nuit, ça doit être incroyable aussi ; il verra bien, parce qu'il a bel et bien l'intention de rester un moment. La dernière fois, il n'a pas pu prendre sa tente et ça l'a affreusement frustré.

Près de lui, le chanteur est parfaitement immobile. Ses yeux sont rivés sur les lieux, il semble même peiner très clairement à articuler une phrase cohérente ; pour quelqu'un qui est sensible aux belles choses, Oliver sait qu'il est parfaitement bouche bée devant un endroit pareil. S'il voulait y aller, il ne se doutait certainement pas de ce qu'il allait découvrir, les témoignages sont rares sur le net, et les photos encore plus. La plupart des dresseurs aiment à laisser une partie de mystère sur les lieux qu'ils visitent, pour donner juste assez envie aux autres d'aller voir par eux-mêmes. Et quelque part, c'est plus que réussi. « Bordel de merde... c'est... c'est tellement... » Oui, c'est beau. Au moins autant que ses yeux qui brillent, qui lui renvoient ces autres années où ils ouvraient des cartes, énuméraient, Lac Colère, Frimapic, Grotte Azurée et ils en rêvaient de moments comme ceux-là où ils se tiendraient debout, tous les deux, rien que tous les deux devant la splendeur du monde. Et quand le visage de Gaspar se mue en un immense sourire joyeux, il se rappelle, Oliver, de la raison pour laquelle il a fait ce geste fou, la dernière fois. Il en a encore envie maintenant, en dépit de tout ce qu'il a pu lui cracher tout à l'heure.

Voilà sans doute pour quelle raison il devrait arrêter de le voir. Parce que cette étrange frontière entre l'amour et la rancoeur, ça ne leur apportera rien. « D'accord. D'accord, je regrette d'avoir hésité à me mouiller.
– Je t'avais dit que ça valait le coup. » Ou pas ? Il ne s'en souvient pas. La dernière fois qu'il est venu ici, il n'est pas passé par la cascade. Le Nymphali l'a conduit par un réseau de buissons et de nids de poule, il a failli se casser la gueule au moins dix fois, et le passage était minuscule, il serait incapable de le retrouver. Sans son Pokémon en tout cas c'est sûr et à choisir, il préfère nettement la cascade, c'est le plus simple. D'ailleurs il voit l'autre, tout au fond ; avec un sourire, sa main effleure le bras du chanteur, pour l'inviter à avancer. « Allez, tu viens ? Il paraît qu'il y a Célébi ici, mais faut qu'on regarde les statues pour espérer le voir. » Il n'y croit pas du tout à ces conneries, mais les statues, il les a toutes regardées, et il les adore. Les trois félins et les trois oiseaux de Kanto dominent les six autres statues ; Arceus, Dialga, Palkia, Mew, Lugia et Oh-Oh. Les statues sont anciennes, mais les caractéristiques des Pokémon ne sont pas difficiles à voir ; ils s'approchent, tous les deux, tandis que les yeux du batteur se posent sur les gardiens de pierre. « T'en as déjà vu un, toi ? » Non, sûrement pas ; mais si Oliver ne connait pas bien ses rêves, il se rappelle au moins de celui-là.

« Peut-être que si j'fais une offrande à Oh-Oh, ricane-t-il, un peu moqueur, il pourra me rendre mes jambes ? P'têtre que j'pourrais effectivement devenir dresseur, s'il fait ça. »

« Je t'avais dit que ça valait le coup. »
Oui, et clairement, ce n'était pas un mensonge. Comment un endroit aussi différent du reste du monde peut-il exister ici, caché entre les rochers derrière une cascade au milieu de nulle part ? Il ne s'en remet pas, et ce n'est que le contact délicat sur son bras qui le ramène à lui, attirant ses yeux à nouveau échappés vers le paysage jusqu'à Oliver, qui lui fait signe. « Allez, tu viens ? Il paraît qu'il y a Célébi ici, mais faut qu'on regarde les statues pour espérer le voir.
– Oui, j'ai lu ça sur internet ! Je sais comment le faire apparaître. »
Gaspar est parfaitement sérieux, et si Oliver tique à ses paroles, il ne le remarque pas, trop occupé à se pencher vers les petites statuettes disposées en cercle dans la clairière. Les souvenirs qui lui rappellent les noms de chacun de ces Pokémon reviennent de terriblement loin. « T'en as déjà vu un, toi ?
– Non, dit-il en secouant la tête. J'pense pas être digne d'en voir un à jour mais j'aurais adoré.
– Peut-être que si j'fais une offrande à Oh-Oh, il pourra me rendre mes jambes ? P'têtre que j'pourrais effectivement devenir dresseur, s'il fait ça.
– J'imagine que ça dépend de l'offrande, répond Gaspar sur le même ton. Un Salamèche chromatique sera peut-être digne de ses faveurs, qui sait. »
Il rigole, fourre instinctivement sa main dans les cheveux d'Oliver pour lui repousser gentiment la tête en avant, taquin, avant de s'éloigner d'un bond par mesure de sécurité. « Bon alors, tu veux le voir ce Célébi chroma ? demande-t-il en déposant avec soulagement son énorme sac sur le sol, avant de s'approcher de la statue qu'il suppose être la plus au nord. J'ai lu sur internet, regarde, ça va marcher. »
Il relève une jambe, attrape son pied et oui, il le fait. Bien sûr qu'il le fait.

« J'imagine que ça dépend de l'offrande. Un Salamèche chromatique sera peut-être digne de ses faveurs, qui sait. » Ah oui ? Dans ce cas ils vont pouvoir sacrifier le sien, songe Oliver en le voyant rire, avant de sursauter, presque, surpris par une main qui passe dans ses cheveux pour pousser sa tête en avant. Ce geste-là, il a dix ans, mais contre toute attente ça ne le dérange pas vraiment. L'endroit est trop beau, et c'est plutôt rassurant, de voir que la tension de tout à l'heure a fini par s'évaporer. Ce genre d'engueulades, il y en aura certainement d'autres ; sans doute autant que les promenades, parce qu'il suffira que Gaspar insiste un tout petit peu pour qu'il accepte. En somme, il est dans la merde Oliver, mais il n'a absolument pas envie d'y penser, pas plus que la vie qui attend le chanteur au sortir de cet endroit. Pour le moment, il est à lui. Et il essaie de se rattraper.

« Bon alors, tu veux le voir ce Célébi chroma ? » Oui ? Mais quelque chose lui dit que ça n'existe pas, ou en tout cas qu'ils n'ont pas beaucoup de chance d'en voir un ; et puis, la technique décrite sur internet est complètement débile, ça doit être un troll absolu et il n'a même pas envie d'essayer. Il hausse un sourcil, Oliver, en posant son sac sur le sol tandis que Gaspar recule, direction l'une des statuettes. « J'ai lu sur internet, regarde, ça va marcher. » Et là, il écarquille les yeux.

Gaspar a attrapé une jambe qu'il relève, pour se mettre à sauter à cloche pieds ; son corps tressaute à chaque bond maladroit alors qu'il regarde les statuettes pour essayer de toutes les contourner sur une seule jambe. Au bout de dix secondes le chanteur, peu habitué à ce genre d'exercice, prend une jolie couleur tomate, et le rire qui enfle dans sa poitrine éclate très vite quand il trébuche, et manque bien se casser la gueule en plein milieu du promontoire. Agenouillé pour récupérer ses affaires, Oliver s'arrête, et le hurlement de rire qui résonne au milieu de la clairière, il n'arrive pas à le réfréner parce qu'il bat des bras l'imbécile, il se redresse, recommence, crie d'une petite voix aiguë que c'est pas drôle. Il s'étale au sol, totalement mort de rire, les bras autour de son ventre rendu douloureux par les hoquets qui secouent son corps. « Aaaaah... Ah, ah, arrête, bo-bordel ahah je vais... » Non mais est-ce qu'il a vraiment cru ces conneries sur internet ? Oui, il y a cru et il n'arrive pas à s'arrêter, parce qu'il voit sa petite tête énervée et qu'il est sûr qu'il va mourir, là. « Putain c'est... mais... Gaspar... »

Putain, qui aurait pu se douter que sauter à cloche-pied comme ça c'était aussi fatiguant ? Peut-être que des forces étranges agissent sur la gravité pour rendre l'exercice plus difficile. Ce ne serait pas étonnant que Célébi ait ce pouvoir ; peut-être qu'il a changé l'espace temps jusqu'à une époque reculée où le monde ressemblait à cette clairière et où les poids étaient plus lourds ? C'est fascinant, vraiment fascinant tout ça, mais c'est vraiment pas facile de sauter comme ça autour de ces statuettes  ; d'autant plus que les hurlements étranges d'Oliver ne l'aident pas à se concentrer. Qu'est-ce qui lui arrive ? Il rigole ? « C'est pas drôle ! Tu vas voir il va apparaître ! » 
Enfin sauf s'il se casse la gueule parce que là, il a bien failli borde, et il doit battre des bras dans tous les sens pour ne pas se casser la figure. « Aaaaah... Ah, ah, arrête, bo-bordel ahah je vais...
– J'arrêterai pas tant... tant qu'il sera pas là, s'essouffle le chanteur en persévérant, utilisant ses bras pour se donner de l'élan. Arrête de hurler comme ça tu vas... lui faire peur !
– Putain c'est... mais... Gaspar... »
Concentré, le chanteur refuse d'écouter les mots décourageant d'Oliver - franchement, c'est pas drôle, répète-t-il alors que le jeune homme se roule par terre d'hilarité ; lui il continue, même si chaque saut est douloureux, même si les Pokémon alentours commencent à le regarder un peu de travers. Vexé, et plein de fierté, il s'évertue à continuer, sans se rendre compte d'abord qu'un petit farceur s'est placé derrière-lui et bondit exactement en même temps que lui, d'un air d'abord très concentré, puis plus joyeux, si bien que le petit malin finit par trahir sa présence à cause d'une série de « Lix ! Lix ! Lixy ! Lix ! »
D'abord, Gaspar a pensé que le rire soudain silencieux d'Oliver était dû à une prise de conscience : et si le chanteur avait raison finalement ? Mais quand il entend finalement le Lixy derrière-lui, essaie de se contorsionner pour regarder ce qui se passe ; c'est le geste de trop, cette fois, il n'a plus aucune force dans la jambe et il se casse la gueule et manque bien écrabouiller le pauvre Pokémon qui l'esquive d'un petit bond, avant de s'approcher de lui pour vérifier que tout va bien. « Merde, je... oh, salut toi, eh... Eh Oliver t'as vu ?! »
Gaspar se redresse doucement, s'assoit et tend les mains jusqu'au Pokémon qui ne fait pas mine de reculer, apparemment très curieux et amusé. « C'est pas un Célébi et il est pas chromatique mais il est quand même apparu grâce au rite magique, c'est sûr. »

Super, maintenant Oliver est presque convaincu qu'il va mourir. Parce que son hilarité, loin d'arrêter le chanteur, ne semble qu'amplifier son besoin de faire le zouave ; il redouble d'effort même s'il a l'air complètement crevé, c'est pas drôle mais bien sûr que si, il est au sol, Oliver, littéralement, incapable de s'arrêter de rire parce que ça reprend à l'instant où il regarde l'homme sautiller autour des statuettes. Les Pokémon sauvages observent eux aussi le curieux manège de cet humain vraiment très bizarre qui fait l'idiot dans leur havre de paix ; sans doute que le bruit généré par le rire d'Oliver et les vociférations de Gaspar n'aident pas à préserver la tranquillité de l'endroit. Tant pis, il s'excusera auprès d'eux plus tard, mais pour le moment... pour le moment il faudrait vraiment qu'il arrête, parce qu'il va s'étouffer s'il continue et il tient quand même un tout petit peu à la vie, le batteur.

« Lix ! Lix ! Lixy ! Lix ! » Bon cette fois c'est plus possible. Maintenant, c'est un petit Lixy qui s'y met, et qui se met à faire des bonds derrière le chanteur qui n'a pas tout de suite remarqué le manège du Pokémon sauvage ; celui ci fait des petits sauts, tout joyeux, sans comprendre ce qui se passe mais visiblement désireux de danser, lui aussi, hein ? C'est impayable, et il aurait dû trouver la force pour immortaliser ça, mais Gaspar finit par se retourner, trouver le petit Pokémon derrière lui et... s'étaler, oui, bien sûr, emporté par son élan. Lui, il commence à peine à retrouver son souffle. « Merde, je... oh, salut toi, eh... Eh Oliver t'as vu ?!
– J'pouvais... difficilement... rater ça, halète l'intéressé en se redressant, avant de passer une main dans ses cheveux pour les chasser de son visage. »

En tout cas, il n'a pas l'air farouche, ce Lixy, songe le musicien en se remettant assis, avant de tirer une cigarette de sa... elle est où, sa veste ? « C'est pas un Célébi et il est pas chromatique mais il est quand même apparu grâce au rite magique, c'est sûr.
– Mais bien sûr, répond Oliver en ricanant, tandis que Gaspar s'applique à gratouiller le Pokémon derrière les oreilles, déclenchant toute une série de piaulements ravis. Le truc c'est qu'il est pas chromatique, ce pet...
– Eeeevo ? »

C'était quoi, ça ? Oliver se tourne, un peu curieux ; il y a pas mal d'Evoli dans le coin et le cri ne l'étonne pas, par contre voir un Evoli derrière lui, sa veste en cuir dans la gueule, ça l'amuse un peu moins. « Hé, qu'est-ce que tu fais avec ça, toi ? » Il y a des baies dans ce sac. Il en avait pris pour Meleys et Choupette et... à l'instant où il se redresse, l'Evoli recule. Ce n'est que lorsque la lumière du soleil passe sur son pelage, que le batteur écarquille les yeux. « Gaspar... elle a peut-être marché ta petite danse finalement, chuchote-t-il, les yeux un peu écarquillés. Regarde cet Evoli. » Bon. Vite, une Pokéball.

Ce Pokémon est beaucoup trop mignon, décide Gaspar en lui gratouillant la tête, ravi de constater que le traitement plaît au Lixy qui se roule sur le dos en piaulant de contentement. « Mais bien sûr. Le truc c'est qu'il est pas chromatique, ce pet...
– Eeeevo ? »
Eh bien, ça grouille de Evoli par ici, se dit le chanteur, peu sensible au scepticisme d'Oliver et bien trop occupé à apprivoiser son nouvel ami pour lever le nez. « Hé, qu'est-ce que tu fais avec ça, toi ?
– T'es trop mignon toi, oui, t'es trop mignon, gagate-t-il, indifférent à ce qui se passe autour de lui.
– Gaspar... elle a peut-être marché ta petite danse finalement. Regarde cet Evoli.
– Bien sûr qu'elle a marché, tu vois pas que j'ai fait apparaître le Pokémon le plus adorable du m... commence-t-il, avant de s'interrompre quand, relevant finalement la tête, il aperçoit le poil argenté du Evoli qui a apparemment chipé la veste d'Oliver. M-merde, il est... »
Chromatique, oui. C'est à croire que quand ils sont tous les deux les étoiles se mettent dans de bonnes disposition pour que la chance leur sourie ; en tout cas c'est ce qu'il commence par se dire avant de se rappeler que non, bien sûr, c'est le rite d'invocation du Célébi qui a provoqué ça. « Je te l'avais dit, chuchote-t-il très fort pour se faire entendre. Ça a marché ! C'est magique, je le savais !
– Lix, Lixy ! »

Si même un habitant local le confirme, alors c'est forcément vrai. Habitant local qui délaisse d'ailleurs le dresseur qui l'a invoqué pour aller plutôt fouiner vers son sac, dont il ouvre tranquillement la fermeture éclair - sous les yeux ronds de Gaspar - pour saisir une pokéball entre ses dents et la rapporter à l'homme toujours assis sur les fesses. « Soit cet endroit est vraiment magique, soit tu me portes une chance de malade, Ollie, articule-t-il bêtement en attrapant l'objet, avant de regarder le Pokémon sauvage entrer tout simplement à l'intérieur. J'en crois pas mes yeux. »

« Bien sûr qu'elle a marché, tu vois pas que j'ai fait apparaître le Pokémon le plus adorable du m... » Ah si sûrement, mais là il y a un Evoli chromatique,  bordel de merde. Il est magnifique, il a sa veste dans la gueule et il va sûrement se barrer avec, mais il est absolument magnifique. Il le lui faut, on est d'accord ? Oui, bien sûr, et il fronce les sourcils, Oliver, concentré, sa ball dans la main. Est-ce qu'il doit l'affaiblir ? Non, il faut l'approcher en douceur, sinon ce petit con va disparaître, il en est sûr. « M-merde, il est...
– Ouais, répond Oliver, un sourire aux lèvres. Et il est à moi. »

De toute façon Gaspar est beaucoup trop occupé avec son petit Lixy, mais quand même autant le préciser. Doucement, il tend sa main libre, ramène ses doigts à lui régulièrement pour tenter d'attirer l'Evoli farceur ; celui-ci pousse un petit cri ressemblant beaucoup trop à un rire, avant de reculer d'un petit bond, totalement hors de portée du batteur qui grince des dents. Merde. Va falloir le mériter, ce foutu Pokémon. « Je te l'avais dit, entend-il près de lui, alors qu'il se fait violence pour se concentrer. Ça a marché ! C'est magique, je le savais !
– Lix, Lixy ! » Mais n'importe quoi, bordel, c'est juste le hasard ; pourtant, quelque chose lui dit qu'il n'en démordra pas, hein ?

Si même le Lixy s'y met, il va vraiment galérer pour lui faire entendre raison. Mais est-ce que c'est important ? Quand il tourne la tête pour observer le chanteur, il le trouve toujours assis, avec le petit Pokémon électrique près de lui ; ce dernier va jusqu'à chercher une Pokéball vide pour la lui rapporter. D'accord, visiblement sa petite danse a suffisamment amusé un Lixy pour lui donner envie de l'accompagner et ça, c'est vraiment trop mignon. « Soit cet endroit est vraiment magique, soit tu me portes une chance de malade, Ollie. » Ah oui ? Il aurait dû rester avec lui alors, peut-être qu'il n'aurait pas fait autant d'erreurs, songe amèrement l'intéressé avant de se reprendre. C'est bon, stop, tout se passe bien alors autant continuer comme ça, hein ? Le Lixy entre tout connement dans la Pokéball, et il hallucine un peu, Oliver, avant de se tourner vers l'Evoli qui n'a pas bougé. Il cherche la merde. « J'en crois pas mes yeux.
– Félicitations, dit-il avec un petit sourire, tout en essayant de se redresser pour attirer l'Evoli de nouveau. Bon alors toi, tu t'amènes ou quoi ? »

Evo ! glapit l'Evoli alors qu'Oliver se met debout, pour finalement partir au grand galop avec sa veste derrière lui. « Eh ! Reviens ici, roh, fait chier, CHOUPETTE ! » Très crédible vraiment ce nom, est-ce qu'il vient vraiment d'entendre Gaspar ricaner, là ? Oui oui, à l'évidence, et il pince les lèvres Ollie, avant de se lancer à la poursuite du Pokémon malgré sa hanche défaillante. De temps en temps, le Pokémon jette de rapides coups d'oeil derrière lui ; ce n'est que lorsqu'il voit qu'Oliver n'arrivera pas à le rattraper qu'il ralentit. Tout ce qu'il fait là, c'est jouer ; et le gars avec lequel il joue n'est pas du tout en mesure de le poursuivre. D'autant que Choupette n'a absolument pas envie de bouger son gros cul du ruisseau dans lequel elle barbote avec Silver. Génial. L'Evoli, pourtant, avise la patte folle du batteur, et s'immobilise complètement ; ses oreilles se penchent, d'un côté puis de l'autre, curieuses. Evo ? demande-t-il, sous le regard attendri d'un Oliver qui peine à croire en sa chance. « J'peux pas te courir après, dit-il en lui montrant son bassin. C'est pas l'envie qui me manque, pourtant. » A une époque, c'était lui qui courait le plus vite, qui allait le plus loin ; c'était lui qui faisait toutes les conneries à faire, le plus souvent avec Isma. Maintenant, il ne peut plus.

Un peu attristé par ce simple constat, il soupire ; il n'ose même pas tourner la tête vers Gaspar, alors que l'Evoli s'assoit, quelques secondes. Il semble l'observer, de la tête aux pieds, l'étudier ; est-ce qu'il est en train de se demander s'il va venir avec un dresseur boîteux ? Il devrait s'en aller, s'il a de l'énergie. Lui, il ne conviendra pas.
Pourtant, l'impensable se passe ; l'Evoli finit par se lever, et galope jusqu'à lui, trainant sa veste dans sa gueule, qu'il dépose à côté de lui, avant de se frotter contre sa jambe. Merde. C'est quoi, cette chance ? Il n'en revient pas, Oliver ; il doit bien admettre qu'il est un tout petit peu ému, là, quand il se penche difficilement pour lui gratter la tête. « Tu veux venir avec moi alors ? » Evo ! Et ça, ça doit vouloir dire oui ?