Oliver est beaucoup trop près de Lucinel. C'est sûrement le seul problème qu'il ait avec cette forêt, parce que pour le reste, il est verni ; c'est toujours le meilleur moyen d'entraîner Tempête, et ses visites régulières lui ont permis, au fil des jours, de connaître les bons chemins pour ne pas se perdre. Aujourd'hui le temps est humide, ses mains sont moites quand il pénètre dans le bois assombri par les lourds nuages qui planent au-dessus de sa tête. L'automne arrive, et avec lui les premiers frimas qui font doucement frissonner les arbres cherchant déjà à se délester de leur couverture verte et protectrice. A la recherche d'un soleil pâlot et fuyant, les branches laissent mourir leur toison estivale ; Oliver a toujours profondément adoré l'automne. Entre les températures en baisse qui lui permettent de ne plus mourir de chaud à chaque fois qu'il pose une main sur sa batterie et les douces couleurs que prennent les forêts, c'est sans nul doute la saison qu'il préfère entre toutes. Il a toujours trouvé ça aussi paradoxal qu'amusant, de se dire que c'est lorsque le froid revient que les branches arborent les couleurs les plus chaudes, de l'orange au jaune quand il lève une main pour effleurer les larges feuilles d'un platane à l'entrée du chemin.

Aujourd'hui, Tempête va bien. Si l'humidité ambiante n'aide absolument pas sa vieille blessure, sa canne est un bon appui pour lui permettre d'avancer et surveiller d'un regard attentif sa Nirondelle sauter de branche en branche. Son aile guérit doucement, et si elle ne volera plus jamais aussi bien qu'avant, ses progrès sont indéniables au fil des jours. Près de lui marche Meleys pour surveiller leurs arrières ; après une mésaventure dans le coin causée par des Piafabecs en colère, il vaut mieux compter sur sa Reptincel pour limiter les dégâts au maximum et prévenir tout éventuel incident attentif aux progrès de son Pokémon, Oliver marche très tranquillement, joint au bec. Est-ce qu'il va rejoindre Gaspar à Lucinel ce soir ? Ce serait le comble de l'insolence que d'aller le voir directement aux portes de l'hôpital où son mari est encore plongé dans le coma ; mais ce n'est pas tout à fait comme s'il en avait quelque chose à foutre, de ce genre de choses, après tout. Qu'il aille pourrir en Enfer, Sacha, ça lui fera de l'air et il pourra récupérer Neskov pour lui tout seul au lieu d'être obligé de se planquer dans un placard en attendant que le grand blond se décide à divorcer.

Tout à ses pensées, il n'entend d'abord pas le petit plouf! et le cri qui résonne juste après ; ce n'est que lorsque Meleys se met à gronder qu'alerté, il se redresse pour l'observer. « Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? » demande-t-il en haussant un sourcil, tandis que sa Reptincel lui désigne d'un geste du bras le petit torrent qui serpente le long de la forêt, jusqu'à l'Oeil de Lathea, suppose-t-il. Devant l'inaction de son dresseur, Meleys commence à s'agacer ; elle gronde, rugit même, alors que Tempête s'est déjà maladroitement envolée jusqu'aux eaux bouillonnantes à la recherche de quelque chose... ou quelqu'un ?
Il ne sait pas Oliver, mais décidant de faire confiance à son équipe, il avance le plus vite qu'il peut jusqu'au torrent devant lui. Effectivement, il y a un cri qui résonne, et c'est en plissant les yeux qu'il finit par repérer, un peu plus bas, le petit corps d'un Bébécaille balloté par le courant, et emporté au loin. Tout se passe alors très vite dans la tête du batteur : il ne pourra pas le récupérer à cette distance, il ne peut plus courir depuis dix ans. Ce serait du suicide de demander à Meleys d'y aller et Tempête n'a pas la force de le repêcher ; heureusement qu'ils sont six dans son équipe, hein ? Songe le batteur en saisissant deux Pokéballs à sa ceinture.

« Choupette ! braille-t-il en direction de sa Mucuscule, bloque sa progression dans l'eau, d'accord ? Balrog, tu files vers eux et tu le récupères avec tes lianes. Allez, vite ! » Aussitôt dit, aussitôt fait ; les Pokémon filent, Choupette plonge, et lui cherche des yeux l'éventuel propriétaire du Pokémon. Un Bébécaille, ça ne vit pas dans la forêt, il est forcément à quelqu'un, songe-t-il alors qu'il aperçoit deux lianes se tendre pour récupérer le petit, alors qu'un appel paniqué résonne derrière lui. « Ohé ! lance-t-il à la jeune femme qu'il n'a pas encore reconnu. On est là, il est à vous le Bébécaille ? » Et comment est-il tombé dans l'eau, ce petit ?

Alors, il est à elle ce petit Bébécaille ? Près de Balrog, le pauvre Pokémon est tout tremblant, autant de peur que de froid ; certains Pokémon ne sont pas vraiment faits pour barboter dans la flotte, et celui-là n'a visiblement pas apprécié l'expérience. Canne à la main, Oliver se penche doucement pour l'observer, tandis que la jeune femme aperçue au loin le rejoint en courant d'une démarche maladroite et précipitée. un bref coup d'oeil sur son jean lui indique qu'elle s'est tout simplement étalée par terre ; l'empressement lui laisse au moins clairement entendre que ce n'est pas elle qui a balancé son Pokémon à l'eau. Tranquille malgré sa respiration un peu erratique, Oliver adresse une caresse bienveillante à sa petite équipe, qui a su réagir au quart de tour. Il lui semble que chaque jour qui passe fait avancer un peu plus leur progression vers la Ligue. Ils l'écoutent, le comprennent et lui obéissent ; en somme, tout va merveilleusement bien au moins avec eux, songe-t-il avant de tourner la tête vers l'inconnue... qui ne l'est pas tant que ça. Cette jeune femme, Oliver l'a déjà vue, il en est sûr, et le temps qu'il la remette, elle l'ignore et se précipite vers sa Bébécaille pour la prendre dans ses bras.

« Mais quelle imbécile tu es, Elva ! Pourquoi es-tu allée dans l’eau ? Tu y as vu un magikarpe, j’imagine ? Ah, Elva, tu ne changeras jamais... Mais je suis donc bin contente que tu sois saine et sauve... » Ouais, lui aussi ; il n'aurait sûrement pas supporté de voir cette pauvre petite noyée, songe le jeune homme en se redressant, une main dans la poche pour chercher son briquet histoire de rallumer son joint et se remettre de toutes ces émotions fortes. Et dire qu'il s'attendait à une petite balade tranquille dans la forêt, apparemment les choses ne se passent jamais comme prévu. Ses yeux d'encre observent la jeune femme, qui finit par relever le nez une fois la plus grosse vague d'angoisse passée ; alors, où est-ce qu'il l'a rencontrée, déjà ? « Merci à vous deux... Je suis éternellement reconnaissante ! Et merci à vous aussi, Monsieur ! Je... »

Et alors qu'il s'apprête à répondre une petite banalité stupide, quelque chose comme c'est rien vous en faites pas, le plus important c'est qu'Elva n'ait rien, Oliver fronce les sourcils devant l'air médusé de la fille face à lui. Alors, il l'a vue où ? Pas sur la route, c'est sûr. Certainement à la sortie d'un concert, est-ce qu'elle est une fan ? Il en croise pas mal, surtout en ce moment, mais avec celle-ci, il a dû discuter. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Livia ? Lilith ? Non, Livy. Un sourire se dessine sur ses lèvres alors que le souvenir lui revient ; la jeune femme l'a draguée un soir autour d'un verre et malheureusement, il a bien fallu lui expliquer qu'elle avait un peu trop de poitrine et pas suffisamment de poils aux jambes pour lui ; malgré cela, il se souvient d'avoir passé une très bonne soirée en sa compagnie. Pas gêné pour deux ronds devant l'air surpris de la dresseuse, il souffle la fumée toxique de son pétard maison vers le ciel. Est-ce qu'elle a l'intention de se redresser ou va-t-elle rester à genoux ? Le choc, sans doute. Quelque part, ça fait vraiment du bien à son égo de se savoir un peu apprécié, même si ce sont majoritairement des femmes.

« Oliver ! Salut ?! M-merci d’avoir aidé Elva à sortir de l’eau. » Pourquoi ce petit air gêné ? Sûrement parce qu'il l'a gentiment refoulée la dernière fois ; pourtant, peu désireux de la laisser rougir, Oliver sourit doucement et tend une main pour l'aider à se remettre debout alors que la Bébécaille s'éloigne gentiment, accompagnée d'une Meleys curieusement serviable qui approche sa queue enflammée des écailles du Pokémon pour la sécher. Elle aussi, elle progresse. Elle est beaucoup plus aimable qu'avant. « Je t'en prie, c'est normal. Qu'est-ce qui s'est passé pour qu'elle tombe comme ça ? demande-t-il gentiment, avant de caler son dos contre un arbre. » Alors qu'il attend sa réponse, sa Mucuscule finit par sortir de l'eau, et fonce immédiatement vers la nouvelle venue pour la saluer ; Tempête, elle, vole maladroitement vers une branche pour se poser et nettoyer ses plumes. « La balade a mal tourné ? J'suis content de te revoir, je savais pas que tu étais dresseuse. T'as sacrément de la chance, c'est pas commun un Bébécaille... » Si Gaspar voyait ça, il crèverait très certainement de jalousie, d'ailleurs.