Ce soir, c'est la pleine lune ; il est presque minuit et Jaeda est encore aussi active qu'en plein jour. Période estivale oblige, les terrasses des bars sont bondées et dans la mesure où il a déjà fallu presque une heure à Ismaël pour trouver celui dans lequel avait atterri les membres d'Asylum - et où il n'a pas pu entrer partout pour vérifier sans commander -, quand il finit par s'éloigner vers la plage, sur les conseils d'Érèbe et sous le regard un peu perçant d'un Mallory auquel il n'a adressé que quelques mots. Ce soir, c'est un autre musicien qu'il veut voir.
Ismaël a fichu ses chaussures dans son sac et libéré la Petite, qui gambade dans le sable en chassant les Pokémon qui croisent sa route. D'après le guitariste, Oliver ne devrait pas être loin ; il n'est parti qu'une dizaine de minutes plus tôt et comme l'a souligné le Hawthorne bien éméché, il ne marche pas très vite. Alors sa blessure ne s'est pas totalement guérie avec le temps, hein ? Il doit constater ça de lui-même. Après ce qu'ils ont vécu tous les deux, il lui doit bien ça et puis, si le baroudeur n'a pas reçu de pokéball par Békipan avec une Mucuscule dedans, c'est bien que le batteur ne doit plus être si fâché que ça.
D'ailleurs effectivement, une demie heure de marche lui suffit à apercevoir une silhouette claudicante le long de la mer. « EEEH OOOOH ! se met-il alors à hurler, les mains en porte-voix autour de la bouche. OLIVER ! »
Est-ce qu'il l'entend ? Oui il l'entend ; la question maintenant c'est de savoir s'il le reconnaît, et ça ce n'est pas gagné. Huit ans, et il s'en est passé, des choses. Et pas des moindres. En quelques minutes de plus, Isma rejoint le jeune homme qui s'est arrêté pour l'attendre et quand il arrive à son niveau, c'est un grand sourire qu'il lui adresse, ouvrant déjà les bras pour l'enlacer. « T'arrêtes un peu de courir oui ? J'vais finir par croire que tu m'fuis. »

Oliver a toujours beaucoup aimé la mer. Pas pour les Pokémon qu'elle contient, mais bien davantage pour les perspectives que lui offre l'horizon ; ce soir, la pleine lune éclaire une eau plate, calme, presque similaire à celle d'un lac. Il a toujours beaucoup aimé regarder l'eau le batteur, se baigner était un vrai plaisir à l'époque où ses deux jambes le permettaient. Maintenant, à moins qu'il ait très envie de se noyer, cette activité lui est tout simplement interdite. Ça ne l'empêche pas de marcher très tranquillement sur la plage, le pas claudiquant, aidé par sa canne. Il suffirait d'un caillou ou d'une motte de sable pour qu'il se casse la gueule, et il a eu son lot de chutes de merde pour l'année, merci bien.

Le concert a été un vrai triomphe, les dates de ces derniers jours marchent du tonnerre, comme d'habitude. Au bout de dix ans, Asylum a fini par s'inscrire parmi les classiques ; ce qui est très loin de déplaire au batteur, à qui cette notoriété fait du bien. Pour autant, le seul qu'il aurait voulu voir ce soir n'était malheureusement pas disponible. Coincé à Enoville pour une raison obscure, Gaspar n'a pas été en mesure de venir. Tant pis, il y aura d'autres dates, d'autres concerts, d'autres occasions de le voir. Dans deux jours, ils vont aller se promener quelque part, et peu importe la destination finalement, tout ce qui compte, c'est de le voir.
Alors il ne prévoit pas du tout le cri qui le fait sursauter, environ une heure après son départ du bar où ils fêtaient la fin du festival avec le groupe ; Erèbe et Mallo savent qu'il est là, mais il leur a bien dit qu'il avait envie de marcher tout seul. « EEEH OOOOH ! OLIVER ! »

La voix qui l'appelle vient d'une silhouette haute, derrière lui, qui s'avance en courant pieds nus sur la plage. Si la nuit ne lui permet pas de distinguer immédiatement les traits de son visage, cette voix, en revanche, semble venir tout droit d'une autre époque. Surpris, Oliver se retourne ; seuls Erèbe et Mallor savent qu'il est là, donc cet homme a été envoyé par l'un des deux.
Et lorsqu'il rejoint sa hauteur, c'est comme une claque de passé en plein visage qui lui arrive quand il reconnait les traits, vieillis de dix ans, d'un jeune homme avec qui il a partagé presque trois années de sa vie. Il était convaincu qu'Ismaël ne voudrait plus jamais entendre parler de lui après le mal qu'il lui a fait, mais sa récente acquisition de Choupette et l'immense sourire qu'il lui adresse lui a, apparemment, prouvé le contraire. Parce que ces bras qui se tendent, il ne les rêve pas, hein ? Isma. Depuis quand est-il rentré ? « T'arrêtes un peu de courir oui ? J'vais finir par croire que tu m'fuis. »

Il pourrait après tout ça, Oliver se demande même s'il a le droit de le regarder dans les yeux. Et pourtant, la gorge nouée par la surprise et la joie, il tend les
bras à son tour pour serrer contre lui cet ami et amant disparu, un immense sourire aux lèvres. « Merde, Isma, balbutie-t-il en le relâchant, avant de le détailler de bas en haut. Mais qu'est-ce que tu fous là ? » J'rentrerai pas à Lathea, lui avait si souvent dit le baroudeur quand il avait décidé de les suivre avec le groupe, avant de disparaître. Est-ce que la culpabilité a fini par le rattraper, finalement ? La sienne en tout cas est toujours bien là, malgré sa joie évidente... et celle de Choupette qui pousse un glougloutement de joie en voyant le dresseur de loin, avant de ce précipiter vers ses jambes pour lui dire bonjour. « C'est dingue, ça... ça fait combien de temps ? »

Ismaël ne sait pas trop à quoi s'attendre quand il s'avance avec toute l'assurance du monde dans l'intention visible de serrer Oliver dans ses bras ; de ce qu'il sait, il pourrait très bien ramasser son poing dans la figure tout de suite et maintenant. Mais bon, ça crèverait l'abcès, suppose-t-il en décidant de prendre le risque ; après tout ce n'est pas comme si Ollie n'avait aucune raison de lui en vouloir, pour le coup. Mais le baroudeur est vite rassuré quand il voit son ami lui ouvrir les bras en souriant, et c'est non sans une pointe de soulagement qu'il vient le serrer contre lui, finalement, pour la première fois depuis beaucoup trop longtemps. « Merde, Isma... Mais qu'est-ce que tu fous là ?
– Eh bin j'suis rentré, faut croire, répond-il en souriant lui-aussi, non sans se priver pour dévisager son amour de jadis, que le temps n'a clairement pas desservi. J'ai su que t'étais dans le coin, il fallait bien que j'te voie au moins une fois avant de repartir. »
Repartir oui, mais plus aussi loin qu'avant, ça c'est sûr. Un petit cri attire son attention ; un cri assez familier pour lui faire détacher ses yeux du visages d'Oliver et les baisser vers le petit Pokémon qui bave de joie en se jetant sur ses jambes pour recouvrir ses mollets de mucus. Elle a de la chance d'être aussi mignonne, Choupette, parce qu'un autre Pokémon aurait fait ça, ça n'aurait pas été la même. « C'est dingue, ça... ça fait combien de temps ?
– Huit ans, répond-il aussitôt, bien renseigné puisqu'il a compté les années il n'y a que quelques jours pour déterminer le temps qui avait passé depuis qu'il a laissé l'oeuf de Sun à Mallory. D'ailleurs ça se voit, t'as vieilli. »
Il rigole, pose sa main sur l'épaule du batteur, qu'il couve d'un regard débordant d'affection ; il n'aurait jamais cru que la violence de la rancoeur qu'il a nourrie à l'égard du musicien pendant toutes ces années pourrait céder si facilement sa place au retour de toute la tendresse qu'il a toujours ressentie pour Oliver. Neskov, Mallory, il n'y pense même pas quand il le regarde et qu'il lui sourit, simplement heureux de l'avoir retrouvé. « C'est bon de te revoir. J'ai su que vous étiez rentrés pour que Mallo prenne la place de champion de la belle ville de Castlerain, raille-t-il tranquillement en levant les yeux au ciel, amusé par ses propres sarcasmes. Pas trop les glandes de devoir habiter dans un trou aussi moche ? »

« Huit ans. » Huit ans, répète-t-il dans sa tête sans vraiment trop y croire. Huit ans après qu'il soit parti un matin comme un voleur sans donner d'explications, voilà qu'il a fini par revenir, le baroudeur. Il n'est plus en colère contre lui depuis longtemps Oliver, il a finalement appris à faire la part des choses ; Ismaël et lui se déchiraient sur la fin, ils passaient beaucoup plus de temps à se disputer que quoi que ce soit d'autre. Il était vraiment temps que ça s'arrête, et Oliver n'aurait jamais trouvé le courage de le dire au baroudeur. A l'époque, il avait beaucoup trop peur de se retrouver seul ; et c'est bel et bien cette peur qui l'a rongé pendant les années qui ont suivi, quand il a fallu trouver du réconfort entre les bras malingres de Mallory. Maintenant, les choses vont mieux, et beaucoup trop d'années sont passées pour qu'il décide d'en vouloir encore à l'homme qui lui sourit. « D'ailleurs ça se voit, t'as vieilli. »

Ah ouais ? Il ricane Oliver, tandis qu'une main chaleureuse se pose sur son épaule. « Toi aussi. Et ça veut dire quoi ça, hm ? J'ai même pas trente ans, t'es gonflé. » Il y a toujours eu quelque chose entre eux. Quelque chose de brillant dans leurs regards, quelque chose d'indiscible, d'indéfectible. Contrairement à ce qu'Oliver a pensé, ce n'était pas de l'amour au sens où on l'entend, mais la profonde complicité, les buts et la tendresse qui les ont toujours liés n'est pas partie, même après toutes ces années. Il ne peut que le constater. « C'est bon de te revoir. J'ai su que vous étiez rentrés pour que Mallo prenne la place de champion de la [i]belle ville de Castlerain... pas trop les glandes de devoir habiter dans un trou aussi moche ? » Oliver hausse les épaules, débonnaire. « Bah, on se fait à tout. Et puis je bouge pas mal en ce moment, ça rend la chose largement plus supportable. Je suis plus aussi souvent chez moi qu'avant. » Et ça ne lui fait pas de mal ; il fume beaucoup moins depuis qu'il a retrouvé Gaspar, et qu'il sort plus régulièrement entraîner ses Pokémon. Sauf qu'il ne pas lui parler du chanteur tout de suite, hein ?

Mieux vaut éviter ce sujet-là pour l'instant. « Et toi alors ? T'es rentré depuis quand ? » Oui, c'est bon de le revoir. Ce grand con lui a manqué, quand bien même serait-il parti pour les bonnes raisons. « Eva est au courant ? L'accueil dans la maison familiale a pas été trop tendu ? » Même si connaissant l'aînée de la famille, quelque chose lui dit que ça n'a pas dû être très joyeux, comme retrouvailles.

Même pas trente ans, mais presque. Ces petites années qu'ils ont de différence ont toujours été source de moquerie et ça va continuer comme ça : Oliver approche de la trentaine, Isma est plus proche du quart de siècle... Ils ont vieilli tous les deux mais Ollie est toujurs le plus vieux ; que ce ne soit pas fondamentalement drôle n'a jamais empêché Ismaël d'en rire. Exactement comme il se moquera sans doute toujours de l'horrible Castlerain. Sérieusement, est-ce que quelqu'un a un jour sérieusement pensé que cette ville pourrait remplacer Myrtha ? « Bah, on se fait à tout. Et puis je bouge pas mal en ce moment, ça rend la chose largement plus supportable. Je suis plus aussi souvent chez moi qu'avant. » 
Ah, ça ça fait plaisir à entendre. « Merci Choupette, hm ? rigole-t-il en observant la petite chose glougloutante aux pieds de son dresseur. J'suis content de savoir que tu restes plus enfermé chez toi, ça doit vraiment te faire du bien. »
Il a bonne mine, Ollie. Bien plus qu'à l'époque où Isma était encore dans le paysage. Est-ce que c'est Neskov, le responsable de ça ? Cette idée lui fout un peu la rage, mais il passe outre ; pas question de gâcher ces retrouvailles. « Et toi alors ? T'es rentré depuis quand ? 
– Une dizaine de jours, répond-il en souriant. Je redécouvre tout. » 
Tout et tout le monde, il faut bien le dire. « Eva est au courant ? L'accueil dans la maison familiale a pas été trop tendu ? 
– Ah ça, grimace-t-il. Si, tendu, c'est même peu de le dire. Surtout qu'Isa s'est barré de la maison et il m'a... pris pour un con, en fait. » 
Il passe une main dans ses cheveux, pas très à l'aise à l'idée de parler de  ça. Ou pas comme ça, en tout cas ; il a franchement honte de lui, pour le coup. « Ça te dit pas qu'on se trouve un coin pour discuter un peu ? J'ai de la weed et des tonnes de choses à raconter. Et toi-aussi, hm ? »
Allez, Ollie n'a pas encore parlé de Neskov mais il va bien le faire, non ? C'est pas qu'Isma a spécialement  envie d'avoir des nouvelles de l'autre crétin mais... il est curieux de savoir si Oliver va avoir le cran de lui en parler ou pas.