Les grottes, ça t'rappelle ton enfance, la douceur d'un temps qui a été balayé d'un revers de main. La vie est une chienne quand elle décide de frapper un grand coup, de démolir tout ce que l'être humain met des années à construire.

Les grottes, les parois rocheuses, ça te rappelle l'homme de ta vie, dont la photo cornée se trouve dans la poche de ton k-way. Tu vois pas comment l'appeler autrement, c'père qui t'a tout appris. Cette grotte là est simple, pas très complexe. Une petite randonnée, sans trop savoir sur quelle frimousse tu vas tomber. Aube flotte derrière toi, tu l'entends ronfler.

Ça te fait sourire. L'sommeil imperturbable de ton meilleur ami, c'est un truc qui te fera toujours sourire. Tu sais même pas combien de temps il dort par jour. Tu sais juste qu'il se réveille quand il faut. Parfois, tu le soupçonnes de combattre en dormant. Parait que c'est l'propre des Abra. Parait que c'est dans leurs gènes, qu'ils ont besoin d'autant d'repos pour être en forme.

Aube, tu sais qu'il a été privé de sommeil, alors tu le laisses dormir tout son saoûl. Ça te coûte rien, il a cette espèce de faculter à se déplacer au radar même pendant qu'il pionce, alors tu vois pas trop l'intérêt d'le réveiller.

Toi, tu t'contentes de remonter ton sac sur tes épaules. T'as pris de quoi camper sur place, on sait jamais que tu t'plaises dans le coin. Une toile de tente, c'est toujours mieux que ton appart en mauvais état, rempli de moisissures qui jouent un peu trop sur tes bronches et tes poumons. Mais pour l'instant, tu explores. T'as pas encore fait complètement le tour de c'te grotte, même si c'est l'un des premiers endroits où tu t'es réfugiée en arrivant à Lucinel.

Dans le fond, ça ne ressemble pas vraiment aux parois rocheuses de ton enfance. Ici, c'est trop doux. Mais il y a quelque chose de familier.

Quelque chose qui te met à l'aise, te permet de te sentir en paix avec le reste du monde. Pas sur tes gardes, pour une fois, ou pas complètement, du moins. T'as l'impression d'être libre, et t'aimes cette impression. T'as l'impression que la roche au-dessus de ta tête te protégera de tout, que les mauvais sorts ne pourront jamais t'atteindre tant que tu seras cachée dans l'antre des Pokémons Roche.

Ici, t'as le sentiment que les mauvaises choses ne t'arriveront jamais, que le mal ne peut pénétrer ce lieu. C'est toi, Aube et la tranquillité des Pokémons qui vous jettent quelques coups d’œil. T'es pas là pour faire des folies, pas là pour provoquer le monde, pas là pour terroriser les petits êtres paisibles plus curieux qu'autre chose d'voir ta frimousse dans l'coin. Certains s'cachent, se terrent ; ils ont certainement compris plus vite que les autres que s'montrer, c'était la porte ouverte au tabassage en règle.

Toi, t'as pas envie d'leur casser la gueule.
Aube, t'façon, est pas en état de combattre, tu comptes attendre qu'il s'réveille pour ça.

Non, toi, c'qui t'intéresse, c'est de sortir un carnet et un stylo et de noter le nom des Pokémons qu'tu connais. L'Pokédex, c'est trop de technologie pour toi, tu préfères les encyclopédies, les vieux trucs, à l'ancienne mode, comme ton père t'a appris. Ceux d'ta génération comptent trop sur la technologie ; toi, tu vois venir le truc, les technologies qui crament ou se rebellent et tous ces cons incapables de survivre. Ouais, dans un scénario pareil, tu prendrais ton sac à dos, ta toile de tente et ton Pokémon, et tu te casserai des villes pour survivre dans la nature.

Un plan parfait d'extermination des êtres humains, en soit.  

Des fois, tu te dis quand même – souvent – que le monde irait bien mieux sans vous, votre bêtise, votre cruauté et votre cupidité. L'humain a un visage hideux, lèvres retroussées en un sourire carnassier, prêt à se jeter sur le moindre signe de faiblesse. Ça t'plait pas. Y'a des exceptions, heureusement. Des gens biens. Des gens paumés aussi. Le monde n'est pas complètement putréfié, pas encore.

Mais combien de gens biens se retrouvent sous l'emprise de connard ? Ta mâchoire se crispe, petite tête enflammée : on entendrait presque tes dents craquer. Tu t'en veux toujours d'avoir fuit sans ta mère, de l'avoir laissé là-bas. Elle a pas su t'protèger, c'est vrai ; mais elle sait pas s'protéger elle-même alors tu supposes que ça excuse un peu. Ou que ça explique, au moins, qu'elle n'ait pas cherché à te défendre.

Tu sais pas c'qui te paralyse le plus : savoir ta mère en train d'encaisser les coups, ou savoir qu'elle aurait continué à le laisser faire si t'étais pas partie. Une mère, c'est censée protéger, non ?

Soupire, mèche qui vole devant ton visage et qu'tu viens chopper pour la glisser derrière ton oreille. T'es en train de regarder la formation de stalactiques quand tu te cognes dans quelque chose qui t'donne chaud d'un seul coup. Réflexe naturel de survie, tu recules doucement. « Désolée ? » Tu tentes, on sait jamais, ça peut marcher. Mais Aube qui s'plante devant toi te fait dire l'inverse. Tu lèves les yeux au ciel.

« Vous voulez vraiment vous battre ? » Les deux s'lâchent plus des yeux et acquiescent. Tu secoues la main pour dire qu't'as compris, et tu t'installes sur une pierre assez grosse pour accueillir ton séant. Aube s'débrouillera très bien tout seul, il est le mieux placé pour connaître ses attaques.   

Ils jouent un peu les coq, les deux, à se tourner autour en s'regardant en chien de faïence. Tu laisses faire. Tu te rappelles d'un dresseur, un jour, qui t'a dit que c'était naturel pour les Pokémons de se battre, qu'ils pouvaient vivre paisiblement les uns avec les autres et que la seconde d'après, ils pouvaient s'pogner la gueule à n'en plus finir à cause d'un mot d'travers. Pas si éloignés que ça de l'être humain, au fond.

Aube s'donne à cœur joie de corriger le Pokémon qui a osé – quelle infamie – se montrer en colère parce que tu l'as bousculé. Les coups s'échangent, tu t'allumes une clope. Tu vois bien qu'ça titille le Flamajou de pas t'voir intervenir, de laisser Aube faire ce qu'il veut. Peut-être que ça le déconcentre, tu sais pas, mais un choc mental bien placé l’engourdit assez pour que tu fasses une p'tite grimace. Tu t'lèves enfin, en faisant signe à Aube que c'est assez. Hors d'question de le foutre KO.

« Tout va bien ? » Flamajou te regarde comme si t'étais une extraterrestre. Toi, t'hésites ; fait deux ans que tu partages ta vie uniquement avec Aube, mais tu gagneras pas les arènes qu'avec lui, tu l'sais. Maladroitement, tu cherches l'objet adéquat dans ton sac, t'en ressors une Pokéball. « On fait la paix et on tente ? T'es pas obligé d'accepter. J'la pose, la décision t'appartient. » Pour illustrer tes propos, tu t'éloignes de nouveau en tirant sur ta cigarette. T'imposeras jamais une capture ; t'es pas d'ce genre là, pas ce type de dresseuse. Et tu veux pas l'devenir.   

C'est trop important, le respect, l'écoute, toutes ces choses là dont t'as manqué. Obliger autrui – humain ou Pokémon – à faire quelque chose qu'il ne veut pas, ça te rendrait malade. Le genre de maladie dont on ne guérit pas, une blessure à l'âme, un truc incohérent, une dissonance cognitive.

Tu veux pas devenir le genre à canarder les Pokémons sauvages d'tes Pokéball, juste pour être sûre d'en attraper un. Le choix, tu leur laisses volontiers. T'as pas capturé Aube, vous vous êtes choisis et tu veux qu'le reste de tes compagnons le soient également par choix. T'as bien une idée, bien sûr, de ton équipe idéale, mais dans le fond tu t'en tamponnes royalement. Y'a tellement d'ces incroyables petites bestioles que tu ne peux pas t'arrêter sur seulement six d'entre eux.

Et puis, c'qui compte, c'est le feeling.
Celui qu'tu ressens vis à vis du Flamajou, c'est un truc tout chaud, pugnace. Le besoin, l'envie, l'espoir de faire ses preuves, de montrer qu'il est fort, digne. Ça te plait bien, parce que tu t'reconnais un peu. Toi aussi, t'es un peu ce genre d'Pokémon sauvage.

Tu sais pas encore ce qu'il va faire, tu le laisses en réflexion devant la Pokéball. Tu t'occupes de regarder Aube sous toutes les coutures, d'vérifier qu'il aille bien en tirant à intervalle régulier sur ta clope. L'son de la Pokéball qui s'active, ça t'sort un peu de tes rêveries. Un. Deux. Trois. Clic.

Sourire. Tu t'relèves, tu laisses sortir de la petite sphère le compagnon qui a décidé de vous suivre. L'compagnon qui se remet à chercher Aube. Nouveau sourire. Ce Flamajou te plait bien, définitivement.