Malgré tous ses dires. Malgré ses efforts pour contourner cette part d’elle-même, Calypso ne peut réellement échapper à sa nature.
Prétendre ne lui sied pas très bien; il n’y aura bientôt de toute manière pour d’auditoire pour cette piètre actrice qui s’amuse à jouer la comédie. Oui, la jeune femme aime prétendre qu’elle s’est détachée de la notion de famille, probablement en raison du formidable bris que son conflit avec sa sœur a laissé sur sa conscience et sur son cœur. Or, la brunette y aspire encore. À une famille. Et en ce sens, peu de gens la comblent autant que sa nièce et son ex-beau-frère peuvent le faire. Toute la journée, diantre, toute la semaine ! elle a attendu avec impatience ce moment où elle visiterait l’adolescente, à son invitation. Calypso se sent comme d’habitude parfaitement charmée à l’idée de ces retrouvailles. Déjà elle se passe en boucle tout ce qu’elle a envie de lui dire, en oubliant que comme à chaque fois elle en oubliera chaque mot avant même de franchir la porte. Il n’y a pas à dire, Rhéane sait mettre un sourire sur son visage. La journaliste Pokémon a tendance à la traiter un peu trop à la manière d’une amie et non d’une tante, mais l’inverse aurait été de supposer que l’aînée possède une notion approximative des limites sociales acceptables et de la hiérarchie naturelle des relations humaines. De ce côté, on repassera.

C’est habitée d’un enthousiasme enfantin que Calypso paraît devant la porte, les mains dans les poches de son manteau, Djinn pendu à ses pieds et un éternel sourire nonchalant aux lèvres. Elle toque de manière rythmée à la porte de la demeure de la jeune fille de Skyler Bay, finalement peu loin de chez elle qui habite la même ville. Sitôt Rhéane paraît dans l’entrebâillement de la porte que la brunette lui saute au cou pour un câlin débordant d’affection. Elle la serre à sa manière, c’est-à-dire toujours un peu trop fort, et jamais assez longtemps pour établir une véritable connexion émotionnelle. Elle écarte ensuite les bras et scande :

«Heeeeeey girl ! Ça faisait trop longtemps, merci pour l’invitation ! Viens Djinn, reste pas sur le pas de la porte où je te laisse dehors.»

Devant la menace de sa dresseuse, le Sovkipou obtempère et tous les deux pénètrent dans la demeure où aussitôt la journaliste prend ses aises, abandonnant son manteau dans l’entrée plutôt que de le suspendre et laissant ses chaussures traîner maladroitement. Typique. Elle suit sa nièce au salon et se déplace comme si l’endroit lui appartenait, ce qui est à peu près toujours le cas avec elle. Calypso est ce genre de personne qui vous inonde de sa familiarité, ce qui n’est pas toujours dépourvu de charme. Elle semble détendue et à l’aise en toute circonstances, ce qui créée chez elle une forme intéressante de charisme.

«Tu lisais le journal ? Tu sais bien que ces journalistes sont tous des charlatans obsédés par une bonne histoire et sans le moindre scrupule !» fait l’ex-habitante d’Hoenn avec un clin d’œil humoristique envers sa nièce.

Elle-même vendrait sa grand-mère pour grimper les échelons dans sa carrière et être reconnue dans ce monde compétitif qu’est le journalisme. Caly prend place sur un des sofas avec Djinn qui, rigide et taciturne, se place près d’elle. Ici, le Sovkipou est un peu moins craintif qu’à son habitude. Il a fermé les yeux dans l’espoir de s’endormir sur les cuisses de sa maîtresse.

«Parlant d’une bonne histoire, j’imagine que tu as un truc à me raconter, n’est-ce pas ? Tu peux pas échapper mon flair, Rhéane, m’inviter ici quand ton père n’est pas là, c’est louche. Alors… t’as un petit ami secret dont tu ne veux pas qu’il sache l’existence ?»

C’est tout de suite là que son esprit simpliste la dirige. Si seulement elle savait à quel point elle était loin du compte…

On ne peut pas trop lui en vouloir. Rien ne la préparait à la réalité que lui imposera sous peu sa nièce au-travers ses explications. Elle ne pouvait s’imaginer en passant la porte avec son enthousiasme fanfaronnant que les événements la mèneraient auprès de ses plus anciennes et profondes blessures. Son imagination a ses limites; même qu’en cet aspect elle manque très souvent de créativité. Elle a du mal à s’imaginer autre chose que ce qui lui ferait plaisir d’entendre, par exemple une histoire sur un compagnon secret. Cette rencontre discrète à la maison aurait dû lui mettre la puce à l’oreille pourtant que quelque chose de plus grave se trame et que si l’adolescente l’a sollicité c’est pour obtenir ses précieux conseils. Les proches de Calypso ont tôt fait d’abandonner de la placer dans la confidence; ils savent qu’elle n’est pas l’oreille la plus attentive et encore moins la plus compatissante. Ce n’est pas sa faute (ou du moins le prétend-elle). À force d’éviter les responsabilités, l’Hoennienne a finit par développer un caractère mou et dépourvu de la moindre sagesse ou initiative. Cette pauvre Rhéane a placé sa confiance en la mauvaise personne, jusqu’à preuve du contraire tout au moins.

Calypso ne s’y attend peut-être pas, mais dans tous les cas, elle aime sa nièce et est prête à tout pour elle. Y compris aller à l’encontre de ses faiblesses. Devant la réponse humoristique de l’adolescente, elle sourit un peu trop et laisse lui échapper un petit bruit ressemblant vaguement à un rire. L’exclamation a suffi à éveiller le petit Djinn, mécontent de cette interruption de son sommeil, qui grommelle avant de se rendormir. Sa dresseuse ne fait pas même attention à lui; elle n’a de yeux que pour la fille de sa sœur. Dès que celle-ci se plonge dans les explications, la journaliste peut sentir la gravité de son discours. La seule personne pouvant l’aider hein ? Calypso hoche la tête comme si elle détenait toutes les réponses, tandis qu’une petite lueur d’alarme provoque une certaine nervosité dans son estomac. Est-elle vraiment à la hauteur de la tâche ? Seul l’avenir lui dira.

Finalement le verdict tombe. Il s’agit de Cléora, la personne qui les unit. En l’entendant nommer son nom, Calypso se sent se raidir. Rhéane lui en voudra-t-elle d’avoir tenu le secret de la présence de sa mère à Lathea pendant tout ce temps ? La colère ne semble pas l’animer. C’est plutôt la confusion qui l’anime. Faut-il renouer et réparer ce qui par le passé s’est brisé ? Ou chercher à se protéger ? Sitôt la jeune fille l’évoque que la jeune femme se tord sur place, retenant l’animosité qu’elle ressent encore pour sa grande sœur et que comme toujours elle minimise et sous-estime.

«On reviendra sur ton père parce que c’est pas cool du tout de te forcer à voir ta mère. Sincèrement tu es ta propre personne, à l’âge que tu as, tu peux très bien prendre tes décisions par toi-même. Enfin, là n’est pas le sujet.»

Elle s’interrompt un moment pour tenter de se calmer. Son avis sur le sujet ? Cléora est trop tard. Bien trop tard. Elle ne peut pas espérer revenir dans la vie de sa fille comme ça, comme si de rien n’était. Ça ne fonctionne pas ainsi. Rhéane n’est pas là pour la distraire et l’amuser quand ça lui chante. Et Calypso sait à quel point, comme elle-même, sa nièce a pu souffrir du désintérêt de Cléora.

«Franchement, je ne sais pas. Si c’est pour prendre le risque que tu te fasses du mal encore, Rhé, je ne vois pas l’intérêt. Qu’est-ce qui te prouve qu’elle ne te refera pas simplement le coup ? Ce n’est pas la première fois qu’elle essaie de revenir dans ta vie après tout. En quoi cette fois-ci serait différente?»

Malgré sa bonne volonté, la tante ne parvient pas à garder un ton neutre, dépourvu de sa propre colère à elle, de sa propre blessure encore béante que rien n’a vraiment réussi à cicatriser.

Ce n’est pas le genre de son ex-beau-frère d’agir de la sorte. Qu’est-ce qui lui a pris ? Malgré le fait qu’il s’agit du premier incident de la sorte, Calypso lui en veut à cet instant d’avoir imposé à Rhéane une rencontre probablement fort intense avec sa mère, de l’avoir potentiellement exposée à des blessures émotionnelles importantes. La jeune femme, malgré ses vieilles cicatrices, reconnaît le bien-fondé d’une telle entreprise bien malgré elle; malgré tout elle se questionne. Sur quelles motivations et données s’est basé son père pour se convaincre qu’il s’agissait d’une bonne idée ? A-t-il eu une discussion avec Cléora ? La brunette aimerait bien savoir à cet instant. Elle a confiance en Ryan. Après tout, cet homme l’a pratiquement élevée; de bien des manières il fut comme un père ou du moins un grand frère pour elle. Alors pourquoi exposer sa fille ainsi ? Calypso ne comprend tout simplement pas et sa décision l’intrigue tout autant que la trouble. Pour l’instant, il vaut mieux pour elle de mettre ses interrogations de côté, puisque ce qui l’intéresse avant tout est Rhéane.

Et Rhéane est paumée. Elle va et vient dans son discours, elle pose des questions auxquelles il n’existe pas réellement de réponse. Calypso aimerait l’arrêter, mais elle sait que ces questions l’habitent, qu’elles roulent et oscillent à la manière des vagues venant s’écraser contre les parois de son crâne. Oui, Cléora fuit. Sa jeune sœur aussi; sauf qu’elle serait incapable de le reconnaître. Il faudrait un regard sur elle-même pour ce faire, or elle est dépourvue de cette capacité. Calypso soupire. Elle a connu sa grande sœur autrement, oui c’est vrai, avant que son obsession pour Groudon ne la consume toute entière, qu’elle ne change, se radicalise et laisse tout derrière elle. Aujourd’hui Championne et chercheuse bien installée, a-t-elle eu l’occasion de remettre en question les erreurs du passé ? La brunette elle-même se sent encore parfaitement concernée par ces mêmes sujets qui ont ligué les deux sœurs l’une contre l’autre alors elle n’a aucune attente concernant Cléora. Dans son esprit, c’est tout simplement impossible qu’elle aille changé.

«Il fut une époque où elle était la meilleure des sœurs. Elle m’a élevé après tout. Mais tout ça a changé au moment où elle mis les pieds dans la Team Magma, qu’elle est devenue obsédée par ses… projets. Après, il n’y avait plus de place pour toi et moi. Je ne suis donc pas surprise qu’elle ne regrette rien, dans sa tête elle a agi pour le bien commun.»

La tante laisse échapper un rire sarcastique avant de secouer la tête. Calypso ne se rend pas compte que ses jugements envers Cléora sont parfaitement hypocrites puisqu’elle a emprunté les mêmes chemins et calqué sa dévotion sur celle de son aînée. À la différence près que leurs convictions sont parfaitement opposées.

«C’est légitime qu’elle veuille voir sa fille, oui. Mais tu n’es pas sa chose et tu devrais prendre cette décision pour toi, pas pour lui faire plaisir. Tu dis qu’elle a changé, mais qu’est-ce qui t’en convainc ? Je pense que tu devrais commencer du début et me raconter comment ça s’est passé quand vous avez parlé. Ce sera plus simple pour me faire une idée.»

Car Calypso essaie tout de même d’être objective malgré la colère qui lui enserre la poitrine et l’envie d’hurler qui lui entrave la gorge. Son regard est grave comme rarement, presque inquiétant, pour éviter d’être méchante dans ses propos envers sa sœur, elle se tient les lèvres serrées et les sourcils froncés sous l’effet de la concentration.