Ça commence toujours un peu de la même manière. Un sentiment de malaise qui enfle dans sa poitrine, deux yeux qui s'ouvrent sur ce qu'il voit comme étant du vide, et rien de plus, un esprit perdu entre conscience et doute, deux mains moites, un peu tremblantes sur une cigarette qui s'allume sans grande conviction, mues par un drôle d'automatisme. C'est une sensation très familière pour quelqu'un qui la connait bien, et depuis le temps, il a appris à ne pas se laisser envahir par l'angoisse engendrée par cette simple et drôle d'impression de gêne qu'il pourrait comparer à un poison lent, indolore au départ mais générateur de pensées coupables, de doutes, de multitudes de questions qui grandissent jusqu'à prendre absolument toute la place au fil des jours qui s'écoulent si personne ne prend vraiment le temps de s'en occuper. C'est toujours un peu comme ça que ça commence ; simplement par de petites angoisses malsaines.

Il y a toujours des solutions pour se sortir de ce drôle d'état, entre frustration et chagrin mais Mallory peine toujours à s'en rappeler. Ce n'est pas faute, pourtant, d'avoir été sollicité par les uns et les autres, d'avoir été assailli des centaines de milliers de fois par cette drôle de solitude qu'il est le seul à s'imposer. Il le sait, qu'il n'est pas obligé de marcher seul dans cette neige toute blanche qui macule le bois Demilune, qu'il aurait pu appeler quelqu'un pour l'accompagner. Il lui semble pourtant que le monde est cruellement dépeuplé dans des moments comme ceux-là ; parce qu'on va forcément lui demander ce qu'il a, et qu'il ne dispose pas de réponse suffisamment claire à donner pour satisfaire ceux qui poseraient la moindre question. La solitude comme refuge, c'est à la fois beaucoup plus confortable et terriblement plus angoissant, mais c'est encore la solution qui dérangera le moins de monde.

Isma travaillait toute la journée aujourd'hui, il était donc parfaitement exclu de le prévenir ; et de toute manière, Mallory a fini par apprendre certaines leçons, après son échec cuisant avec Hydris. Les relations ne sont pas là pour servir de pansement, quand bien même le johtien lui assurerait que ce n'est pas le cas, et qu'il n'a pas besoin d'être seul pour lutter contre sa peine et sa mélancolie. C'est comme ça, il doit faire certaines choses tout seul et les accepter aussi ; finalement, cela fait des années que ça dure, et la présence ou non d'un petit ami n'y change pas grand chose dans des moments comme ceux-là, tout au plus se sentirait-il un peu moins seul maintenant, si sa main gelée était refermée sur celle, chaude, du jeune homme qui a enfin fini par l'accepter dans sa vie ; un peu de chaleur mais rien de plus. Dans ces moments-là, Mallory n'est pas capable de se dire que cela pourraiit faire pencher la balance.

Tandis que Mallory recrache avec nonchalance la première bouffée de sa cigarette, il laisse sa main libre s'enfoncer dans la poche de son épais manteau d'hiver. Son nez s'enfonce momentanément dans son écharpe bleue, le temps de prendre une inspiration plus tiède que s'il inspirait directement l'air glacé de la forêt ; puis, conscient qu'il risque de ne pas aller bien loin s'il n'est pas un minimum protégé, le champion tire sa pokéball de sa poche pour laisser sortir Aurora, qui trottine gentiment vers lui, les yeux inquiets. Elle est mignonne, sa Ponyta, elle fait toujours soigneusement attention, elle ouvre le chemin quand il se promène pour prévenir les aspérités du terrain, jette toujours un oeil vers lui pour s'assurer qu'il va bien, qu'il ne fait pas de détour dangereux. Mais elle profite beaucoup moins de sa promenade, et c'est malgré tout avec un sourire affectueux que le garçon porte sa cigarette à ses lèvres pour lever sa paume, et la poser délicatement sur les naseaux de son Pokémon. Seul... oui, mais pas tout à fait.